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DOUBLE RÉVOLTE.

revendiquant les siens : derrière l’injure apparente, faite à l’Église catholique par la violation de deux de ses immunités, allaient tout à coup apparaître les crimes cachés, qui avaient été, pendant de si longues années, une injure permanente à la vertu, à la faiblesse, à l’innocence et à l’humanité.

On est étonné d’abord que les crimes de Gilles de Rais aient pu durer si longtemps sans éveiller plus tôt l’attention de la justice, soit ecclésiastique, soit civile ; sans qu’il s’élevât, des quatre coins du pays, un cri de réprobation ; sans qu’il parût enfin un juge pour venger les faibles. Mais, quand on réfléchit au mystère dont Gilles de Rais enveloppa sa vie secrète, ne laissant paraître au grand jour que les dehors brillants qui flattent les yeux ; à l’effroi des populations, décimées par un ennemi présent sur tous les points du pays à la fois et cependant invisible à tous les yeux ; à la crainte qu’inspiraient le nom et la puissance du seigneur de Rais, aux protections influentes, qui semblaient mettre sa tête à couvert des foudres de la justice et qui donnaient raison aux craintes des petits et des faibles, on est moins surpris que Gilles ait pu continuer, impunément, pendant plus de huit années, la longue série de ses crimes. « À cela le conviait l’assurance de sa grandeur pour impunité, dit d’Argentré, s’étant laissé gouverner par gens de même esprit[1]. » L’initiative des poursuites contre un si grand personnage ne pouvait venir que de ses égaux, qui étaient fort peu nombreux, ou de plus puissants que lui, plus rares encore ; et il ne pouvait tomber dans l’esprit du menu peuple d’espérer lutter avec avantage contre un homme tellement placé, dans l’imagination de la foule non moins que dans la sienne, au-dessus des lois et de la justice. Enfin, le duc de Bretagne montrait trop de passion à soutenir le maréchal interdit contre sa famille et le roi de France, Charles VII, pour qu’on s’imaginât qu’il mettrait moins d’ardeur à le défendre contre le pauvre peuple. Aussi, ce n’est point vers lui que montèrent les plaintes et les gémissements des malheureux.

  1. D’Argentré, Hist. De Bretagne, P. 796.