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GILLES DE RAIS.

Dans une vie troublée comme fut celle de Gilles par tant d’événements divers, la part de Catherine de Thouars fut bien petite et son rôle bien effacé : il est vrai de dire aussi qu’il restait peu de place aux affections légitimes dans une existence dévorée par les affections défendues. Livré comme il l’était aux mains d’indignes flatteurs et en proie à toutes ses convoitises, l’intérêt même conseillait au prodigue d’éloigner de sa personne son épouse légitime ; car elle devenait pour lui un témoin d’autant plus ennuyeux qu’elle était plus intimement mêlée à sa vie. Le Mémoire des héritiers nous dit qu’il ne pouvait souffrir près de lui épouse, fille, frère, parents ou amis, qui l’auraient contrarié dans ses goûts, en essayant de l’arracher au mal par amitié[1]. Aussi bien, quels plaisirs sa malheureuse femme, honteusement délaissée, en butte aux caprices d’un caractère violent par nature et rendu brutal par passion, aurait-elle pu goûter dans le commerce journalier de cet homme ? La vie commune n’est douce que pour les cœurs qui s’aiment, et, bien loin de souffrir les haines, elle ne peut même pas supporter l’indifférence : mais c’est la pire des choses, lorsque les derniers outrages sont la récompense du plus tendre amour. Il n’y a point, pour une femme, de malheur plus grand et de douleur plus cruelle que l’infidélité d’un époux. Dans l’universalité des maux qui nous désolent, la plus pénible peine est l’abandon ; l’exil même et la pauvreté, quand on les porte à deux, ont de certains charmes, qui en adoucissent l’amertume ; mais les vraies douleurs sont celles qui viennent d’un cœur ulcéré, dévoré dans la solitude par le chagrin. À n’en pas douter un seul instant, ce fut le triste partage de Catherine de Thouars. Unis, jeunes encore, par les liens d’un amour peut-être profond à l’origine, mais vain dans le cœur de Gilles, c’est à peine si nous retrouvons à de rares intervalles l’épouse auprès du mari. Dès le début de leur mariage, les exigences de la

  1. Voir aussi et surtout les Lettres patentes de Charles VII, 13 janvier 1446, Chartrier de Thouars ; Cartul. de Rais, no  258.