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DEUX SOURCES.

Ainsi donc, tout concourt à démontrer que Gilles de Rais est vraiment le type de Barbe-Bleue, et l’histoire, et la poésie, et les traditions écrites, et les traditions orales. Mais, dira-t-on peut-être, Gilles de Rais ressemble bien peu au Barbe-Bleue de Perrault ? Il faut en convenir, en effet. Mais pourquoi veut-on que le conte et la légende soient d’accord avec l’histoire ? Pourquoi la figure fantastique, sortie grimaçante et terrible du crayon populaire, doit-elle avoir les mêmes traits que le visage tracé par le burin de l’histoire ? D’après cette règle, le vrai Barbe-Bleue serait Henri VIII, roi d’Angleterre ; car, encore bien que Charles Perrault ne donne pas sept femmes à son mari, il est certain que le conte véritable, transmis dans le peuple, a consacré ce nombre. Mais raisonner ainsi, c’est sortir de la légende, de

    gnage inattendu, apporté par les édiles d’une petite ville où rien n’est étranger de tout ce qui regarde la tradition de Barbe-Bleue. Voici ce qu’on lisait au mois de septembre 1882, dans toutes les communes de la Vendée et de la Bretagne qui avoisinent dix lieues à la ronde la petite ville de Montaigu.

    Ville de Montaigu
    (Vendée)
    Dimanche, 24 septembre 1882
    Cavalcade historique

    « Visite de Charles VII et de la reine Marguerite d’Anjou, sa femme, à leur sœur, Marguerite de Valois et à leur beau-frère, Jean de Belleville, son mari, seigneur et dame de Montaigu, et à la petite reine Odette.

    « Charles VII, dit le Victorieux ou le Bien-Servi, est accompagné de la Pucelle d’Orléans (!) et de ses grands capitaines : Dunois, La Trémoille, Xaintrailles, La Hire, Gilles de Rais, dit Barbe-Bleue, seigneur de Machecoul, de Pouzauges et de Tiffauges.

    « Marguerite d’Anjou est suivie des demoiselles de sa cour, entre autres d’Agnès Sorel, sa dame d’honneur, amie intime de Madame de Belleville.

    « Jacques Cœur, argentier du roi, apporte les 20,000 agnels ou moutons d’or promis à Madame de Belleville pour sa dot. »

    On suppose que les organisateurs de cette cavalcade historique ne s’étaient guères préoccupés de se mettre d’accord avec l’histoire. Mais qui songe à leur reprocher quelques minces anachronismes, quelques maigres invraisemblances ? Une fête publique n’est pas un cours d’histoire et la foule ne se présente point comme des étudiants pointilleux et chagrins. Personne, même parmi les plus savants, n’a poussé la pédanterie jusqu’à rire de cette science historique ; mais personne non plus, ni parmi les lettrés ni dans le peuple accouru de tous côtés, n’a contredit à Gilles de Rais, produit aux yeux émerveillés comme le Barbe-Bleue d’autrefois et admiré comme tel par la foule ébahie.