Page:Boucher de Perthes - De la misère.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
( 7 )

l’industrie et détermine l’action et la croissance des facultés intellectuelles.

Le Lazaroni, à Naples, ne désire plus rien quand il a mangé son plat de macaroni et bu un verre d’eau, et cela lui coûte 3 sous. Qu’en arrive-t-il ? C’est que les 3 sous obtenus et son repas assuré, son esprit ne s’ingénie pas pour en gagner davantage ; il dort jusqu’au lendemain où la faim le réveille, et il se rendort lorsqu’elle est passée ; aussi, reste-t-il une brute toute sa vie. Ce Lazaroni est-il pauvre ? Non, il a tout ce qu’il souhaite ; ses besoins sont calmés, il ne veut plus rien, donc il est riche. Créez-lui un besoin de plus, faites qu’à son plat de macaroni il veuille ajouter une tranche de pastèque : s’il n’a pas un sou pour l’acheter il sera pauvre d’un sou, mais aussi il veillera une heure de plus pour le gagner, et pendant cette heure il avisera un moyen d’y parvenir ; eh ! bien, il sera déjà un peu moins matériel ; en trouvant un besoin, il aura rencontré une pensée.

Qu’il ait ensuite la fantaisie d’avoir des bas : le voici pauvre d’une paire de bas ; il s’en était passé jusqu’à ce jour, jamais il n’y avait songé : aujourd’hui, il les a reconnus utiles ou agréables, et cette homme, à qui il ne manquait rien, est alors réellement misérable. Il souffre de sa nudité, il en rougit, il ne peut plus vivre sans bas. Alors pour en avoir, il en fait, ou il apprend un état qui lui en procure. De fainéant, le voilà devenu travailleur, parce qu’il a eu un désir duquel est sorti un besoin. Or, ce qui, à ses yeux, était du superflu, est devenu du nécessaire ; il est de fait plus pauvre ou plus nécessiteux qu’il n’était ; mais croyez-vous que ce soit un mal ? Non, car il a acquis volonté et intelligence. Il a donc gagné à cette pauvreté, et la société y a gagné avec lui.

Nous voyons par là que le goût du superflu, celui du luxe même, en augmentant les chances de misère,