Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/174

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J’ai toujours sous les yeux la Grecque d’hier ; elle n’était pourtant ni belle ni même jolie, mais il est des figures qui vous poursuivent et qu’on se rappelle sans cesse, quoi qu’on fasse. Celle-ci est vraiment de caractère : ses sourcils qui se joignent, ses cheveux noirs comme l’aile du corbeau et où scintillent quelques perles d’aciers moins brillantes que les éclairs de ses yeux, son chapeau rond de feutre, à bord plat relevé d’un côté, avec une plume noire qui lui tombe sur l’oreille, son costume sombre, son entrée silencieuse, suivie bientôt de celle de son mari à l’air non moins étrange et mystérieux, tout cela fait penser : on croit voir une mise en scène et le prologue d’un drame.

Cependant ils ont parlé de la duchesse de Berri et d’autres hautes notabilités comme étant de leurs connaissances, et ils les ont vues certainement, je ne saurais m’y tromper, aux détails qu’ils en donnent.

À cinq heures et demie, de mes fenêtres ouvertes sur le lac, je vois un beau coucher du soleil. Une allée d’arbres le masque sur un point, mais en coupant ses rayons qui se reflètent dans l’eau unie du lac, elle en double l’effet : le soleil est coupé en deux, il est répété dans l’eau, on voit ainsi trois soleils.

J’étais au plus beau de mon extase, quand le maître de l’hôtel vient me demander si je veux dîner avec deux Français logés chez lui, ceux-là même qui doivent aller passer la soirée chez la duchesse. J’y consens d’autant plus volontiers que la faim me pressait : je le prie donc de hâter l’heure de la soupe. Il me dit que le dîner avait été retardé parce que mes compagnons de table avaient désiré faire maigre, car en Suisse c’était jour d’absti-