Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/193

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lorsqu’ils ont l’âge de raison : aussi cela m’étonna dans une fillette aussi grandelette.

Les animaux sont également sujets à ces accès. J’ai vu des chiens me regarder aussi fixement, immobiles et comme fascinés, pendant un temps très-long. Dans les pays où les chevaux, demi-sauvages, vivent en liberté par troupeaux, on en verra souvent s’en détacher pour venir examiner un passant. Quelquefois le troupeau entier suivra. Dans nos pâtures, vous avez pu remarquer cette curiosité des poulains. J’ai cité ailleurs une jeune fouine qui, pendant plusieurs semaines, se montra dans un interstice des bois rangés en pile qui se trouvaient près d’un banc sur lequel je m’asseyais chaque matin en me déshabillant pour me baigner. L’animal ne se trompait pas d’heure, et je n’étais pas plutôt assis que je le voyais arriver. Il passait sa tête entre deux bûches à deux ou trois pas de moi, et là, comme pétrifié, ses regards ne me quittaient plus. Qu’est-ce qui l’attirait ? Je n’en sais rien. Me prenait-il pour une proie ? Ce n’est pas probable : ses yeux paraissaient plutôt caressants que menaçants ; ils avaient ce même air étonné et songeur que j’avais observé chez les enfants.

Une autre fois, étant assis au bas de la rive de la Somme, je trouvai un jeune rat d’eau dans cette sorte d’extase. Les yeux attachés sur les miens, il n’était pas à deux pieds de moi. Les mouvements même que je faisais ne l’effrayaient pas, et j’aurais pu le saisir à la main. Je me levai doucement, il me regarda faire, et ne rentra dans son trou que lorsqu’il ne vit plus mon visage.

Je suis tenté de croire que c’est l’éclat des yeux qui