Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/195

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siers contrastent fort avec sa mise soignée et la beauté d’une femme qui semble être la sienne, et d’une jeune fille ressemblant à sa mère.

Dans ce moment, une entrée presque théâtrale attire tous les regards : ce sont deux jeunes femmes à crinoline monstre, recouverte d’une robe de soie gris-perle, ornée de manches les plus longues et les plus larges que j’aie jamais vues. Ces beautés phénoménales auraient fait fureur à Paris. Ce ne pouvait être ni des Suisses ni des Allemandes, et à peine eurent-elles fait deux pas, qu’à leur marche je reconnus des Anglaises, ce que confirma l’arrivée de leur mère qui les suivait en se balançant comme un navire sur la houle.

Le salon se remplit peu à peu, presqu’entièrement de dames : un homme pour quatre, terme moyen. Seul je n’y prenais pas de thé pour lequel j’ai toujours conservé une espèce de rancune. Dans mon enfance, on n’en usait guère en France que comme remède et par ordonnance du médecin. À la suite d’une indisposition, on m’en présentait des tasses que ma bonne nommait tisane. Est-ce à cause du nom que je refusais d’y goûter, ou si j’y goûtais, qu’à la première gorgée je repoussais le vase qu’on me forçait de reprendre ? Je ne sais ; mais j’en voulais beaucoup à la bonne qui m’entonnait le breuvage et me faisait gronder quand je ne l’avalais pas. Depuis, ma mauvaise humeur contre le thé ne s’est pas dissipée. Est-ce à raison, est-ce à tort ? — Le thé a-t-il été un bien ou un mal pour l’humanité ? Contribue-t-il à la richesse de l’Europe, ou est-il un impôt de quelques centaines de millions qu’elle paie sans profit aux Chinois ? — C’est aux économistes à en décider.