Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/199

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Quand j’en eus assez de la façade, voulant voir l’intérieur, j’entre par la première porte que je trouve ouverte. Ni suisse, ni bedeau, ni avis au public n’en défendait l’entrée. Me croyant en pays catholique, je fais quelques pas en avant. Rassuré par le silence qui règne, je continue, et je me trouve en face d’une centaine de dames assises sur des bancs, priant à voix basse, et pas un seul homme. Alors — était-ce une hallucination ? — il me sembla que tous ces yeux, tournés vers moi, me regardaient comme on l’eût fait à Constantinople d’un giaour ayant, sans firman, pénétré dans une mosquée.

Évidemment j’étais un intrus, un loup dans la bergerie, et c’était la porte défendue, la porte sacrée et réservée aux seules brebis, que j’avais franchie. Ici j’étais dans mon tort, et je m’attendais à tout instant à voir se dresser devant moi quelque bedeau menaçant me lançant anathème : or, je ne suis pas brave contre les bedeaux. Je crains beaucoup moins le suisse, eût-il six pieds de haut. Jamais, que je sache, suisse de paroisse n’a tiré l’épée ni brisé de lance ; d’ailleurs, grâce à son brillant costume, on le voit venir. Quant au bedeau, on ne sait quelle est son arme, et l’on ne voit jamais d’où il sort : c’est donc pour moi un être mystérieux, une sorte de gnome contre lequel les puissances de ce monde ne peuvent rien.

Le mal était fait, je ne pouvais pas me sauver : on aurait cru que, comme Caïn, je venais de commettre un meurtre ; le mieux était d’aller en avant. Je vis alors comment le parcage était fait. Il y avait trois côtés, ayant chacun leur entrée distincte : l’une pour les femmes, l’autre pour les hommes, et la troi-