Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/281

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c’est une pluie souvent mêlée de tuiles qui leur tombe incessamment sur la tête, et, certes, il faut l’avoir dure pour y résister. Les titres que j’avais aperçus en remuant cette poussière dramatique, les quelques phrases que j’y avais lues, m’avaient donné une idée de la valeur du reste. Sans doute il peut se trouver une perle dans ce fumier, mais c’est un quaterne à la loterie, et la chance est si faible qu’on s’explique comment on ne s’expose guère à la courir. On peut donc calculer que sur vingt manuscrits qui sont envoyés ou présentés à un théâtre parisien, il y en aura les deux tiers qui ne seront pas même ouverts, et la moitié de l’autre tiers qui ne seront pas lus jusqu’au bout ; enfin, que sur la dernière moitié du dernier tiers, un seul peut-être arrivera jusqu’au comité de lecture, si toutefois l’auteur, habitant Paris, a été fortement recommandé au directeur, et qu’il n’aura pas négligé de venir au moins dix fois relancer le secrétaire chargé de l’examen préparatoire.

Lorsque je quittai l’archiviste, qui était redevenu bon enfant et qui, en résumé, avait mis de la complaisance dans cette recherche, laquelle avait demandé une grande heure, il me dit : « Votre pièce, fût-elle reçue chez nous, à quoi bon ? Nous en avons qui, depuis trois ans, attendent leur tour, et qui l’attendront trois ans encore, si elles ne l’attendent pas toujours. »

Le fait est qu’y eût-il cent théâtres à Paris, jouant tous les jours une pièce nouvelle, ils ne pourraient pas satisfaire tous les auteurs, c’est-à-dire représenter tout ce qu’on leur apporte chaque année, car il n’est pas d’écolier, n’eût-il obtenu qu’un prix de sixième, qui, dans notre bonne France, n’ait fait sa pièce de théâtre.