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UNE DE PERDUE

ges un véritable pirate, dont la description correspondait assez avec celle du navire qui, à cette heure, reposait bien innocemment sur ses ancres dans la rade.

De bien bonne heure, ce matin là, il y avait un grand nombre de personnes rassemblées sur les quais, examinant avec des longues-vues le vaisseau suspect. À bord, tout semblait dans la plus grande solitude. Les voiles ferlées n’annonçaient pas un prochain départ. Un homme, un seul homme, en chemise rouge avec un chapeau de toile cirée noire, se promenait lentement sur le gaillard d’avant, fumant tranquillement un cigare, pur havane, dont les bouffées, lancées à pleine bouche, s’élevaient en décrivant des ronds qui allaient en s’élargissant jusqu’à ce qu’ils se perdissent dans l’espace. Pas un souffle de vent ne dérangeait la symétrie des ondulations que formait la fumée en giroyant dans les airs. De temps en temps il regardait le ciel, puis la lisière du ruban rouge qui pendait au haut de la flèche du mât d’artimon, comme pour découvrir de quel côté viendrait la brise du matin au lever du soleil. Le ciel était pur et sans nuage ; aucun souffle n’agitait la surface des eaux ; la houle de la mer, qui se faisait sentir dans la rade où elle venait mourir, balançait seul et lentement les vaisseaux qui y reposaient sur leurs ancres.

Longtemps les curieux attendirent et ne virent rien qui put rompre la monotonie du vaisseau suspect.

Vers huit heures, un pavillon blanc fut hissé au-dessus du consulat anglais, édifice gothique à côté de la maison de douane, qui dominait l’un des bassins du quai où se tenait rassemblée par groupe cette foulé de signors inquiets et curieux.