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UNE DE PERDUE

« Un jour, c’était dans l’automne de 1808, Madame Deguise vint de Sorel, où elle demeurait, faire une visite à Madame de Grandpré, amenant avec elle une jeune fille. J’étais dans l’étude de M. de Grandpré, quand la voiture arriva. Jamais je ne vis de figure aussi fraîche, aussi rose, aussi expressive que celle de cette jeune personne qui accompagnait Mme Deguise. Je me sentis tout bouleversé ; de nouveaux sentiments se réveillaient en moi ; des sensations indéfinies flottaient au devant de mon esprit. J’avais vingt ans !

« Le soir, au souper, je me trouvai assis à table vis à-vis de cette jeune personne. J’osai à peine lever les yeux sur elle.

« Je ne dormis presque pas de la nuit ; et quand, vers le matin, mes sens succombèrent à la fatigue, j’eus des songes dans lesquels il me semblait voir flotter, dans des nuages de gaze, l’image de cette jeune fille.

« Elle s’appelait Éléonore de M***. J’entendis le son de sa voix ; elle chanta, en s’accompagnant d’une guitare. Je crus entendre la voix d’un archange ! chaque note, si pure, si suave, si douce, vibrait sur les cordes de mon cœur comme une divine harmonie !…

« Je n’avais pas encore vu de figure aussi parfaite ; jamais buste si admirablement sculpté ; jamais coupe de visage, si fine dans ses lignes, si pure dans son contour ! Ses longs cils noirs voilaient ses yeux, baissés sur sa guitare. C’était la réalité de mes rêves, la personnification de tout ce que mon imagination ardente s’était figuré de plus aimable sous une forme humaine !