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DEUX DE TROUVÉES

Son esprit ne s’arrêta pas un seul instant à questionner la suffisance des motifs qui avaient porté son père à lui cacher sa naissance et son nom : il l’avait voulu ainsi ; cela suffisait. Peut-être quelqu’un pourrait-il être à cet endroit un peu plus difficile que Pierre de St. Luc, et ne pas trouver les raisons du père Meunier suffisantes ; cependant quand on vient à considérer l’extrême jeunesse de Pierre, au moment où M. Meunier le fît venir à la Nouvelle-Orléans ; quand on considère qu’il aurait fallu dire à cet enfant : « que sa mère était la femme d’un autre, » on conviendra peut-être qu’il pouvait répugner à l’homme d’ouvrir ainsi une plaie si profondément douloureuse. Plus le père tarda à s’ouvrir à son fils plus il lui devint difficile de le faire. Plus tard M. Meunier contracta un second mariage ; alors il lui devenait impossible d’avouer l’existence d’une première femme, sans s’exposer aux conséquences pénales du crime de bigamie. Ce qu’il avait de mieux à faire, après avoir fait mal, c’était de se taire ; et il se tut.

Pierre de St. Luc, associant dans sa pensée l’image de son père et celle de sa mère, demeura longtemps plongé dans les plus profondes réflexions ; puis il plia avec soin le mémoire qu’il replaça dans la cassette, d’où il tira les lettres de sa mère. Il les prit dans ses mains ; et après en avoir examiné les cachets, il les baisa avec respect les uns après les autres, et les remit à leur place après les avoir lues.

Il était près de onze heures, quand Pierre de St. Luc se fit servir son déjeuner, qu’il prit sans dire un mot, et sans faire une seule question aux nombreux esclaves de la maison, qui venaient lui apporter, les