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UNE DE PERDUE

Et la négresse s’en alla en grommelant entre ses dents : — Mé qué y a donc, le docteur, y fâché contre son lorloge, contre le soupé, contre moué, contre tout l’y monde, gros la tempête y va vinir ! Moué attrapé les coups, ça sûr, si n’a pas son le soupé ; et ça sûr aussi y aura pas soupé, car mon la marmite va renversé, si personne pou veillé li, et ça sûr personne pou veillé li, si moué pas là. Sapré mossié Plicho !

Ce n’était pas le temps qui inquiétait la négresse, quoiqu’une pluie froide tombât avec abondance ; le vent soufflait par raffales, la nuit était noire, la rue déserte et obscure, à peine éclairée à de longs intervalles par des lanternes dont les vitres brisées avaient, dans plus d’un endroit, laissé le vent éteindre les lumières. Quelques lanternes intactes conservaient encore cependant leur lumière pâle et lugubre et luttaient, en se balançant, contre les efforts du vent.

— Sapré M. Plicho ! murmurait la négresse, pourquoi y pas vinir tout suite ? y va été cause mon la marmite va renverser, et mon maître baté moué, si moué donné pas li son le soupé, sapré mossié Plicho ! La pli y tombe comme tout ; mais ça, c’est égal, moué pas fondre comme sucre, moué coutumé !

Et la vieille Marie, stoïquement assise sur le perron de la porte, plongeait de son œil unique à travers l’obscurité de la rue. — Il lui sembla entrevoir dans la distance une ombre indistincte qui passait sous la réflection d’une lanterne.

— Qué qu’un vini, ça c’est sûr, murmura-t-elle.

Et elle se baissa presque jusqu’à terre pour mieux voir. À mesure qu’elle regardait, il lui semblait