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UNE DE PERDUE

«…Oh ! mon Dieu, avait-elle écrit, vous savez avec quelle soumission j’ai fait le sacrifice de ma vie ; et si vous permettez que je garde au fond de mon cœur un amour si profond, que ni le temps, ni les larmes, ni la prière, ni le jeûne n’ont pu l’effacer, pour celui qui sauva mes jours, c’est que cet amour ne vous est pas désagréable… Oh ! Antonio, comme je t’ai aimé, comme je t’aime encore, comme je t’aimerai toujours ! Je n’espère plus te voir ; bientôt je ne serai plus de ce monde. Je ne sais si tu vis encore ; depuis deux ans je n’ai pas eu de nouvelles de ma famille. Mon père même ne m’a pas écrit depuis deux ans que j’ai reçu sa dernière lettre. Il m’écrivait que mon Antonio avait été réhabilité parmi les grands de l’Espagne, auxquels il appartenait par son rang et sa fortune. J’ai eu alors un doux espoir de le revoir, mais je ne l’ai point revu. Peut-être m’at-il oublié. Oh ! mon Dieu, peut-être en aime-t-il une autre ! Qu’est-ce que je dis ? ma raison s’égare : pourquoi ne pourrait-il pas en aimer une autre ? Dois-je être égoïste ? Ce n’est pas pour moi que je l’aime, c’est pour lui, lui mon sauveur. M’est-ce pas parce que je l’aime pour lui seul, que je veux faire abnégation de tout au monde pour pouvoir prier pour lui, et offrir au ciel le sacrifice de ma jeunesse et de ma vie pour son bonheur éternel ? »

Ces feuillets, elle les déchira comme les autres, et quand elle les eut tous détruits et jeté à l’eau, elle se mit à pleurer.

En ce moment elle entendit la cloche du couvent sonner. Quoi ! dit-elle, déjà sept heures ! Elle prit la fleur attachée à son corsage, la porta à ses lèvres, puis la déposa au pied de l’arbre et se leva pour