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CHAPITRE XIX

Propos du bord.


L’incident relaté au chapitre précédent fit le sujet des longues conversations du bord. Jean admirait la force de volonté de cet homme qui avait su dompter ses sentiments pour accomplir son devoir. Il est rare, disait-il, que les hommes féroces ou cruels soient vraiment courageux. Cruauté et lâcheté sont presque des synonymes. Le vrai courage, c’est celui de Dampierre. Il n’a recours à la force que lorsque c’est inévitable, mais dans l’exécution de son devoir il est inflexible.

Alice s’était éprise de cette apparition poétique d’un homme d’un autre âge.

— Il est bien regrettable, disait-elle, que nous ne rencontrions plus de ces types-là. Décidément, nous dégénérons.

— Ma chère, répondit Jean, nous vous remercions du compliment que vous nous faites. Seulement, vous vous trompez. Nous changeons, mais nous ne dégénérons pas, puisque nous nous adaptons aux conditions nouvelles d’une civilisation plus compliquée.

Dampierre, tel que nous l’avons vu, est en retard de cent ans. Prenez cet homme, ce chasseur qui vous paraît si noble et qui l’est véritablement ; placez-le dans un milieu moderne et faites qu’il dépende de son travail pour vivre. Que deviendra-t-il ? Dans de telles conditions, il devrait se contenter d’un travail bien humble, car il lui serait complètement inutile de savoir tuer des caribous ou prendre des