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Robert Lozé

sa maison, qui était charmante et singulière. À l’intérieur s’entend, le dehors n’étant qu’une espèce de chalet suisse bâti à l’américaine et posé sur un carré de gazon comme une bonbonnière sur un tapis vert. Mais cette bonbonnière était meublée de choses antiques que madame de Tilly avait collectionnées elle-même, non pas chez les brocanteurs qui excellent dans l’art de vendre des antiquités apocryphes, mais à la campagne, dans les maisons de cultivateurs, où l’on trouve parfois des objets de grand prix, les bois précieux et les cuivres souvent recouverts d’une couche de badigeon. Ce sont des meubles Louis XIV et Louis XV, quelquefois plus anciens encore, presque tous d’une élégance de forme remarquable. Car il faut admettre que les artisans anciens surpassaient ceux d’aujourd’hui. Les connaisseurs admiraient surtout un buffet de forme ovale fait de bandes alternantes de bois de rose et de cuivre et soutenu sur des pieds de cuivre ciselé. Cet objet avait dû séjourner plus de cent ans chez des gens qui en ignoraient le prix.

Quelque indépendante qu’on puisse vouloir paraître, on ne vit pas sans société. Madame de Tilly avait fini par réunir autour d’elle un cercle où il régnait quelque chose de son esprit. Cela formait un salon excentrique et à part, moins banal que les cercles plus réguliers, parce qu’on y rencontrait des gens qui ne ressemblaient pas entièrement à tout le monde. Le jeu en était proscrit, car l’hôtesse, instruite par une triste expérience, le tenait en horreur. C’était un des rares endroits de la métropole où l’on causait et où les choses de l’intelligence n’étaient pas absolument négligées. On y épluchait peu les réputations, ce qui eût pu être embarrassant pour certains habitués. Mais on se faisait éplucher ailleurs, parce qu’on était à côté de la convention.

Montréal, soit dit en passant, a cela d’une capitale, qu’on peut y trouver les éléments épars d’une vraie vie sociale, lesquels, faute d’un centre de réunion favorable, forment de