Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/25

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Ce 2 janvier. — Nous sommes auprès de Madère ; nous le voyons comme je voudrais te voir ; mais nous n’osons pas y mouiller aujourd’hui, parce que nous ne pourrions y être que de nuit, et que, ne connaissant pas le mouillage, il est plus à propos de se promener en long et en large à l’entrée jusqu’à demain matin. C’est de là que ces lettres-ci partiront, parce que je ne veux pas m’attirer le reproche que tu m’as fait si injustement l’année passée au sujet de Ténériffe. J’aime à penser à tous tes torts, parce qu’ils sont presque aussi aimables que toi ; sans eux, tu serais trop parfaite ; et ta conduite, et ton caractère, et ton honneur ressembleraient à ces figures régulières en tout point qui n’ont jamais de physionomie. Quand je pense à ta belle âme, à ton bon cœur, à ta franchise, à cette grandeur que le prince Henry a si bien démêlée en toi, et que je me rappelle en même temps tes malices, tes folies, tes obstinations, tes colères, il me semble voir la Vénus d’Hésiode entourée de petits amours espiègles, méchants, mal morigénés, mais tous jolis à manger. Voilà tes défauts, je ne t’en connais pas d’autres, et j’espère bien les retrouver, car je ne leur dis pas plus adieu qu’aux amours. En attendant un moment si doux, mais si éloigné, je t’embrasse de si bon cœur qu’il me semble que tu dois le sentir malgré la distance.


Ce 3 janvier. — Je suis à Madère, ma chère femme, et je t’y aime de tout mon cœur. Tu manques partout où tu n’es pas, mais encore plus ici qu’ailleurs, parce que j’aurais voulu te faire partager mon ravissement à la vue de tout ce que la nature peut offrir de plus frappant et de plus varié. Imagine plu-