Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/37

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venus avec moi s’occupent aussi à se faire des établis, des manches de ciseaux, des bois de rabots, etc., pendant que le taillandier attend un moment et un lieu favorables pour fabriquer des scies, des gouges, des vrilles, des varlopes, etc. Ces embarras-là ne sont qu’un petit échantillon des autres. N’importe : il faut, comme les héros des romans épiques, se jeter au milieu des troupes ennemies, et suppléer à tout par une ardeur infatigable, par une présence d’esprit continuelle et par des inventions imprévues. Tout cela est plus aisé à dire qu’à faire. Mais, si tu étais ici, tout cela deviendrait presque agréable, car plus je fais, plus je travaille, plus je me dévoue, moins j’y trouve de peine et de répugnance. Et pour être heureux dans tout il ne me manque que toi ; je ressemble aux palmiers d’ici qui ne fleurissent qu’auprès de leurs femmes.


Ce 20. — Je viens d’une promenade à la grande terre où j’ai mené des officiers de marine à la pêche et à la chasse. Comme j’ai changé mon régime et que j’ai déjeuné comme ces messieurs de poisson et de vin, je suis revenu avec une migraine insupportable ; mais dès qu’on sait la cause de quelque mal, on n’en souffre qu’à moitié, car on est comme sûr que la nature fera les frais de la guérison et que la prudence garantira des rechutes. Je remarque cependant avec une sorte de peine que toutes mes forces ne m’ont point suivi en Afrique ; j’ai traîné et même langui depuis mon départ. Le défaut de sommeil et celui de digestion m’ont fait un tort presque irréparable ; je me porte mieux depuis quelques jours, mais je sentais ce matin même, avant de souffrir, que mes jambes me refusaient le service et