Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/41

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que le fruit, au contraire, en est assez agréable, je me contenterai de t’en apporter de la graine. Au reste, je n’ai jamais rien vu de plus intéressant et de plus frappant en même temps que ce petit espace de terre, où la nature travaille en liberté depuis une époque incalculable sans permettre à l’homme d’y porter la main. J’y renverrai quelque jour ce bon M. Prelong, dont je suis à chaque instant plus content, pour y faire paisiblement ses recherches et ses observations et pour voir s’il y découvrira une source. Alors j’y ferais un petit établissement de jardinage et j’y trouverais une terre neuve qui me fournirait tout ce que mon jardin épuisé me refuse. Mais, voilà l’homme ; il se perd dans l’immensité, sans penser qu’il n’a qu’un point à remplir dans la durée et dans l’espace. Si je n’avais que trente ans, si j’avais ma femme, si nous étions ici l’un à l’autre et qu’elle s’y trouvât aussi heureuse avec moi que moi avec elle, je répondrais de changer par forme de passe-temps toute la face de cette partie-ci du monde. C’est à peu près comme si un animalcule microscopique se promettait de changer toute la face d’un gros fromage de Hollande ; mais la pauvre petite bête n’a qu’un jour à vivre et l’homme en a bien moins à proportion, car un de ces animaux-là n’est pas la cent mille millionième partie de l’homme, tandis qu’un jour est la vingt-cinq millième partie d’une vie plus qu’ordinaire. Laissons donc aller les choses et tâchons, toi et moi, de passer ensemble le plus que nous pourrons de ce temps dont le ciel est si avare et dont l’homme est si prodigue.


Ce 26. — On dit partout et je crois même avoir dit quelque part que le premier et le dernier vœu