Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/88

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journée, ou du moins si j’en ai, j’espère les employer à te lire plutôt qu’à t’écrire.


Ce 3. — J’ai passé la nuit devine avec qui ? Avec ma femme, ou du moins avec son esprit. Non, jamais, jamais, personne ne t’a ressemblé ni ne te ressemblera. Mais pourquoi ces charmantes lettres sont-elles si anciennes ? Il est bien dur d’être non seulement à mille lieues, mais encore à mille ans de tout ce qu’on aime. Enfin, nous franchirons les mille lieues et les mille ans et puissions-nous alors passer mille vies ensemble.


Ce 4. — Je t’envoie toutes sortes de petites drogues auxquelles tu voudras bien attacher un grand prix ; il y a entre autres choses une pipe digne d’attention que je te prie d’envoyer de ma part à l’excellent duc de Polignac. Elle est de terre de Galam et tu y verras une quantité de paillettes qui, à mes petits yeux grossiers, sont de l’or, et à tes grands yeux fins pourraient bien n’être que du mica. Voilà à quoi servent les grandes connaissances, à dissiper toutes les illusions et à gâter, par conséquent, toutes les jouissances. Par bonheur que tu ne me regardes pas encore avec des yeux savants et que tu veux bien prendre mon pauvre mica pour de véritable or. Moi je te prends pour ce que tu es, c’est-à-dire pour tout ce qu’il y a de plus joli en apparence et de plus sublime en réalité. Adieu.


Ce 5. — Voilà, voilà des lettres, en voilà jusqu’au 16 de février ; je ne les ai pas encore lues, et cependant, par une vieille habitude, je les trouve déjà charmantes. Hélas, mon enfant, il faut changer de