Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/251

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Le succès des expéditions, les territoires conquis,, l’allégresse citadine la fructification des trafics nationaux, la bonne marche des affaires, les catastrophes publiques, c’est cela qui occupe les rois ! Cependant,, les poètes ont une égale puissance. Ils réhabilitent les nations. Les entreprises de leur esprit régénèrent de farouches contrées. Au son des luts pesants de foudre, le bel Amphion a su construire des villes.

Il n’est pas impossible que les crimes d’un despote paraissent plus immédiats, tragiques et opportuns^ Il existe aussi des crimes de pensée. Les noires sentences de Machiavel sont pires qu’une invasion barbare. Et peut-être les défaites du peuple et de l’armée portent-elles moins de souffrance et de malédiction que la mort d’un illustre auteur. La force de ces grands hommes apparaît sans limite. Ils agissent partout et perpétuellement. Si inconnus qu’ils soient pour vous, c’est à eux qu’il faut reprocher les événements de la douleur. Ni la mort, ni d’affreux désastres ne seraient tragiques en effet si une infinité de poètes populaires n’avaient paré ces circonstances des pâles cyprès de leur tristesse. « Mourir pour la patrie, s’écrie l’antique Tyrtée, aucune péripétie heureuse ne vaut celle qui peut te priver de conjonctures qui te paraissent meilleures. » C’est là un roi spirituel. Tandis qu’Archiloque ou Anacréon défaillent tristement dans la peine, Tyrtée chante l’extase de la mort et décore cette cérémonie d’une joyeuse couronne de strophes gaies, et ses odes sont des textes de lois plus solides et plus merveilleux que ceux des rois.