Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/73

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Ah ! pourquoi, cependant, néglige-t-on d’adorer les Marthe, les Ophélie, les Ajax, Hanilet, les Nausicaa, toutes ces personnes si séraphiques qui entendirent l’amour desdieuxetleur envoyèrent, adorante, leur âme ?

Oui, Ophélie a existé, car’nulle création poétique ne demeure fictive complètement. Sait-on tout ce qu’elle chuchota penchée sur l’épaule de Shakespeare ? Ce qu’elle lui confia, dut être adorable. Hélas ! il ne nous a rien dit auprès des allégresses et des tendresses bénies que cette petite personne suscita à ses yeux. Elle devait être exquise et douce, d’une langueur épuisante, passionnée et tragique. Elle avait des mains blanches, sans doute, bénévoles, fraîches comme du pain blanc.

Elle riait aussi, mais moins tristement que cette Virginie qui fut si aimable ! Mon Dieu ! je la vois calme au bord du fleuve opaque, sous l’ardent saule sonore !

Il faudrait prendre un peu plus garde à ces personnages des légendes de qui les chimériques actions nous transportent d’enivrante tendresse. Il existe ainsi de suaves demoiselles prédestinées aux noces idéales du Poète. Elles viennent vers lui et elles ne le savent pas. Elles portent leur âme comme un présent nuptial,— et elletremble ’éperdue, elle s’enfuit dans les briser, elle se couche dans les blés auprès des sources tremblées, verdoyantes, tout en fleur.

Il semble en vérité qu’elles soient indispensables. Elles créent le poète plus qu’il ne les crée. Elles participent de la vie éternelle.

D’étranges splendeurs les embellissent, par quoi elles ont su l’enchanter. C’est en elles qu’il surprend l’Été ou la Douleur, — archangélique dieu endormi !