Page:Bouilhet - Œuvres, 1880.djvu/148

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Seul, perdu dans la brume et dans l’immensité,
Il visita les mers en prestiges fécondes,
Les îlots merveilleux qui flottent sur les ondes,
La sirène chanteuse, et les monstres marins
Dont les naseaux bruyants sont hérissés de crins !

Il entendit alors dans sa force superbe
Hennir les passions, comme un troupeau dans l’herbe,
Et son cœur qui palpite, enflé de sang vermeil,
Sentit descendre en lui les flammes du soleil !
Il aima les tambours, les clairons, les cymbales,
La bataille emportée au dos blanc des cavales,
L’assaut qui monte aux murs avec ses doigts sanglants,
Les peuples écrasés sous les palais croulants,
Et la mêlée ardente, aux étreintes si fortes
Que la terre oscilla sous le pied des cohortes,
Et que l’explosion de l’humaine fureur
Des vastes océans étouffa la clameur !

Le monde était vaincu, le ciel restait encore :
Comme le bûcheron, dans la forêt sonore,
Fait rouler à ses pieds les chênes monstrueux,
Une hache à la main, l’homme émonda ses dieux !
L’idole, chancelant sous les secousses fortes,
Vit crouler ses bras lourds tels que des branches mortes,
Et ses dents de granit, rouges de sang humain,
Comme des glands tombés jonchèrent le chemin.
La peur aux yeux béants, pâle fille des ombres,
S’échappa, pour toujours, des sanctuaires sombres,