Page:Bouilhet - Dernières chansons.djvu/162

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L’eau de paix et d’oubli qu’on trouve chez les morts.
Son pouvoir sur le cœur s’étend peut-être au corps ?…
Le soir de notre hymen, Pluton me l’a donnée ;
Je l’ai, depuis ce temps, hélas ! Abandonnée
Dans cette peau de chèvre, au flanc large et barbu…
Heureux si tu m’aimais ― ou si j’en avais bu ! »

Et sur l’enfant tout noir dont la tête est baissée,
Il verse du Léthé l’onde épaisse et glacée ;
Vains efforts : la couleur persiste ! Seulement
Le corps a secoué son engourdissement.
Il grandit ; sur les os, dont les moelles frémissent,
Les nerfs sont déployés, les muscles s’affermissent.
Ce n’est plus l’humble enfant, ― c’est un monstre emporté
Dans sa force première et dans sa puberté.
Tous le suivaient des yeux, les narines ouvertes.
Il flairait du dehors l’odeur des forêts vertes,
Et sa bouche qui rit, ténébreuse au dedans,
Montra, comme un éclair, la pâleur de ses dents.

Vulcain trembla ; Vénus en eut peur, elle-même,
Et, de loin :

                       « O mon fils, ma douleur est extrême !