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GÉOGRAPHIE ANCIENNE. — N° 20. Afrique et Numidie. 843


leur fortune. Or, nous pensons que les passages cités par M. Armandi ne prouvent pas qu'il y eût des éléphants dans les États Barbaresques, car nous savons que les mots, Mauretania et Numidia dési- gnaient des régions illimitées vers le sud et qu'ils les appliquaient à tous les pays situés au delà de l'Atlas, pour lesquels il n'avaient pas de noms spé- ciaux. Les géologues et les naturalistes reconnaissent bien que les éléphants n'ont pu vivre dans les plaines découvertes ni dans les montagnes arides de l'Algérie et du Maroc. D'ailleurs un autre passage de Pline, bien plus explicite, le démontre lorsqu'il dit qu'on trouvait des éléphants « ultra Sirticas solitudines ». Or les Solitudines Sirticas sont le désert du Sahara, et ultra, c'est le Soudan. Les élé- phants des contrées Carthaginoises ne venaient certainement pas par mer des côtes océaniennes, c'est-à-dire de la côte de Sierra Leone et du Sénégal, et la route de terre, le long de la côte, n'était pas suivie. D'autre part, ils ne pouvaient vivre à l'état libre à la latitude de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc. Ils provenaient donc des forêts plantureuses, des marécages, du lac de Tchad, où le docteur Barth en a encore vu des troupeaux en si grand nom- bre dans son voyage de 1851, et l'ivoire dont les Carthaginois faisaient un commerce si général, devait venir, en très-grande partie par conséquent, des mêmes pays où on le vend encore en si grande quantité et à si bon marché (Voyage du docteur Barth). Ce secret des Phéniciens, une fois con- staté, on comprend de quelle importance devait être son commerce de terre. Comme il lui fallait du blé et des troupeaux, elle avait soin d'entretenir les colonies agricoles dont nous avons parlé. Ainsi sa marine ne faisait pas tout, mais elle avait une importance sur laquelle il nous reste à parler. Les deux ports de Carthage ont été étudiés pour la première fois avec la critique la plus pénétrante et de la manière la plus satisfaisante par M. Beulé; nous nous contenterons d'y renvoyer pour le détail. Le Cotton, port circulaire et fermé, avec ses por- tiques, ses loges pour les' navires, et le port mar- chand carré, sont dessinés et décrits, aussi bien que Byrsa, avec une parfaite clarté dans cet ouvrage. La marine de guerre semble donc avoir été dis- tincte de la marine marchande, comme les ports eux-mêmes; mais il est probable que les navires marchands des Carthaginois pouvaient atteindre des proportions considérables, comme nous le voyons par le périple de Hannon qui accuse 500 hommes, passagers et équipage sur chaque navire, il était sans doute facile de les armer en guerre. C'est ce qui dut arriver, par exemple, dans les guerres pu- niques. Polybe nous apprend que les pertes totales de la marine s'élevèrent à 500 vaisseaux pendant la pre- mière guerre punique. Nous savons qu'en 102 la flotte fut brûlée par Scipion en entier à l'exception de 10 navires. Tite Live nous dit que cette flotte s'élevait à 500 vaisseaux; on peut suivre, dans cet historien, les armements qui eurent lieu dans le port de Carthage pendant toute la seconde guerre punique, et l'on voit qu'ils sont considérables. Or, Carthage se relève encore après 202. Com- ment l'aurait-elle pu faire sans son commerce inté- rieur dans le centre de l'Afrique? Elle dut lui don ner d'autant plus d'extension que cette source iné- puisable de richesses échappait à la surveillance active de Rome. Or nous voyons par Polybe que les forces mili- taires de Carthage, au m e siècle, étaient composées surtout d'étrangers : la seule chose qui entrât comme élément carthaginois dans les armées, c'é- tait l'argent Nous apprenons qu'il y avait des armées formées à peu près exclusivement de peuples étrangers même à l'Afrique : c'étaient des Ibères, des Ligures et des Celtes. L'armée des mercenaires carthaginois révoltés en 138 comprenait des Numides, des Libyens (Aîêvai), des Espagnols, des Gaulois, des Ligures, des Ba- léares et même des Grecs. 7000 Libyens la forti- fièrent. Ils perdirent 50 000 hommes. Ce fut autant de troupes dont Carthage se priva : mais peu lui importait de donner son argent à l'un ou à l'autre, pourvu qu'elle rencontrât des nations aussi belli- queuses et aussi fortes que les Ibères ou les Gau- lois. Hannibal avait, à Zama, des Libyens, des Numi- des, des Carthaginois, des Maurétaniens, des Gau- lois, des Ligures, des Baléares, des Macédoniens et des Italiens du Bruttium. Ce qui est très-digne de remarque, c'est que les forces dont disposait Carthage en 204, à l'époque du débarquement de Scipion, étaient inférieures à celles de la seule Numidie, puisque Hasdrubal op- pose aux Romains 30 C00 fantassins et 3000 cava- liers, et Syphax qui le secourait avait 50 000 fan- tassins et 10 000 cavaliers. C'est cette cavalerie, comme on sait, qui faisait la grande force des Carthaginois. Scipion ne l'avait pas gagnée tout entière, puisque nous voyons de pareils escadrons lui être opposés. Certaines contrées de l'Afrique du nord sont d'une extrême fertilité, et d'autres sont tout à fait impro- ductives. Il en était de même autrefois. Il est pro- bable que les peuples de ces régions, au temps de la prospérité de Carthage, tiraient de ce pays des produits aussi importants qu'aujourd'hui. La culture se partageait en deux branches dis- tinctes : les céréales et l'élève des bestiaux. Heeren relève avec soin tous les peuples agricul- teurs, et il trouve qup, outre les nombreux cantons de la Numidie qui produisaient des céréales, il y avait les colonies agricoles du territoire de la capitale : établissements dont l'abandon forcé par suite de la guerre fut une des causes de sa décadence et de sa ruine. C'est l'avis de Polybe, qui les appelle les Voi- sins, Al Ttspiomôeç. Il y en avait plus de 200 au temps d'Agathocle. Comme il était défendu de les fortifier, elles offraient une proie facile à l'ennemi. Toute la Byzacène était comme le grenier de Carthage. La fertilité de YEmporia est très-connùe. Le vieux géographe Scylax en parle ainsi : « L'Emporta, habitée par les Libyens, est la plus <c magnifique contrée et la plus féconde. Elle abonde a en troupeaux et les habitants sont les plus riches « et les plus beaux de tous. Elle avait des villes nombreuses et florissantes encore au temps de Strabon. Ces villes devaient être l'entrepôt des marchan- dises de l'intérieur de l'Afrique; c'est pour cela que Massinissa, en enlevant ce pays à Carthage, la priva de sa dernière ressource , celle qui l'avait fait vivre après la destruction de sa marine; il lui coupa, en outre, par le fait de cette occupation, la route du Soudan. Cette opération militaire, conseillée ou tout au moins permise par le sénat, a une portée considé- rable qui n'a pas été assez mise en lumière. C'était de la Byzacène surtout, comme nous l'ap- prend Polybe en plusieurs passages, que Carthage tirait ses approvisionnements. Polybe vante beaucoup la fertilité de l'Afrique carthaginoise au n e siècle , et c'est en témoin ocu- laire qu'il en parle. Les chevaux, les bœufs, les moutons, les chèvres y formaient des troupeaux immenses tels qu'il n'en avait vu dans aucun pays, et ils offraient une large compensation aux tribus qui ne connaissaient pas la culture.