leur fortune. Or, nous pensons que les passages
cités par M. Armandi ne prouvent pas qu'il y eût
des éléphants dans les États Barbaresques, car nous
savons que les mots, Mauretania et Numidia dési-
gnaient des régions illimitées vers le sud et qu'ils
les appliquaient à tous les pays situés au delà de
l'Atlas, pour lesquels il n'avaient pas de noms spé-
ciaux.
Les géologues et les naturalistes reconnaissent
bien que les éléphants n'ont pu vivre dans les
plaines découvertes ni dans les montagnes arides
de l'Algérie et du Maroc. D'ailleurs un autre passage
de Pline, bien plus explicite, le démontre lorsqu'il
dit qu'on trouvait des éléphants « ultra Sirticas
solitudines ». Or les Solitudines Sirticas sont le
désert du Sahara, et ultra, c'est le Soudan. Les élé-
phants des contrées Carthaginoises ne venaient
certainement pas par mer des côtes océaniennes,
c'est-à-dire de la côte de Sierra Leone et du Sénégal,
et la route de terre, le long de la côte, n'était pas
suivie. D'autre part, ils ne pouvaient vivre à l'état
libre à la latitude de l'Algérie, de la Tunisie et du
Maroc. Ils provenaient donc des forêts plantureuses,
des marécages, du lac de Tchad, où le docteur
Barth en a encore vu des troupeaux en si grand nom-
bre dans son voyage de 1851, et l'ivoire dont les
Carthaginois faisaient un commerce si général,
devait venir, en très-grande partie par conséquent,
des mêmes pays où on le vend encore en si grande
quantité et à si bon marché (Voyage du docteur
Barth). Ce secret des Phéniciens, une fois con-
staté, on comprend de quelle importance devait
être son commerce de terre.
Comme il lui fallait du blé et des troupeaux, elle
avait soin d'entretenir les colonies agricoles dont
nous avons parlé.
Ainsi sa marine ne faisait pas tout, mais elle
avait une importance sur laquelle il nous reste à
parler.
Les deux ports de Carthage ont été étudiés pour
la première fois avec la critique la plus pénétrante
et de la manière la plus satisfaisante par M. Beulé;
nous nous contenterons d'y renvoyer pour le détail.
Le Cotton, port circulaire et fermé, avec ses por-
tiques, ses loges pour les' navires, et le port mar-
chand carré, sont dessinés et décrits, aussi bien que
Byrsa, avec une parfaite clarté dans cet ouvrage.
La marine de guerre semble donc avoir été dis-
tincte de la marine marchande, comme les ports
eux-mêmes; mais il est probable que les navires
marchands des Carthaginois pouvaient atteindre des
proportions considérables, comme nous le voyons
par le périple de Hannon qui accuse 500 hommes,
passagers et équipage sur chaque navire, il était
sans doute facile de les armer en guerre. C'est ce
qui dut arriver, par exemple, dans les guerres pu-
niques.
Polybe nous apprend que les pertes totales de la
marine s'élevèrent à 500 vaisseaux pendant la pre-
mière guerre punique.
Nous savons qu'en 102 la flotte fut brûlée par
Scipion en entier à l'exception de 10 navires.
Tite Live nous dit que cette flotte s'élevait à 500
vaisseaux; on peut suivre, dans cet historien, les
armements qui eurent lieu dans le port de Carthage
pendant toute la seconde guerre punique, et l'on
voit qu'ils sont considérables.
Or, Carthage se relève encore après 202. Com-
ment l'aurait-elle pu faire sans son commerce inté-
rieur dans le centre de l'Afrique? Elle dut lui don
ner d'autant plus d'extension que cette source iné-
puisable de richesses échappait à la surveillance
active de Rome.
Or nous voyons par Polybe que les forces mili-
taires de Carthage, au m e siècle, étaient composées
surtout d'étrangers : la seule chose qui entrât
comme élément carthaginois dans les armées, c'é-
tait l'argent
Nous apprenons qu'il y avait des armées formées
à peu près exclusivement de peuples étrangers
même à l'Afrique : c'étaient des Ibères, des Ligures
et des Celtes.
L'armée des mercenaires carthaginois révoltés en
138 comprenait des Numides, des Libyens (Aîêvai),
des Espagnols, des Gaulois, des Ligures, des Ba-
léares et même des Grecs. 7000 Libyens la forti-
fièrent. Ils perdirent 50 000 hommes. Ce fut autant
de troupes dont Carthage se priva : mais peu lui
importait de donner son argent à l'un ou à l'autre,
pourvu qu'elle rencontrât des nations aussi belli-
queuses et aussi fortes que les Ibères ou les Gau-
lois.
Hannibal avait, à Zama, des Libyens, des Numi-
des, des Carthaginois, des Maurétaniens, des Gau-
lois, des Ligures, des Baléares, des Macédoniens et
des Italiens du Bruttium.
Ce qui est très-digne de remarque, c'est que les
forces dont disposait Carthage en 204, à l'époque
du débarquement de Scipion, étaient inférieures à
celles de la seule Numidie, puisque Hasdrubal op-
pose aux Romains 30 C00 fantassins et 3000 cava-
liers, et Syphax qui le secourait avait 50 000 fan-
tassins et 10 000 cavaliers. C'est cette cavalerie,
comme on sait, qui faisait la grande force des
Carthaginois. Scipion ne l'avait pas gagnée tout
entière, puisque nous voyons de pareils escadrons
lui être opposés.
Certaines contrées de l'Afrique du nord sont d'une
extrême fertilité, et d'autres sont tout à fait impro-
ductives. Il en était de même autrefois. Il est pro-
bable que les peuples de ces régions, au temps de
la prospérité de Carthage, tiraient de ce pays des
produits aussi importants qu'aujourd'hui.
La culture se partageait en deux branches dis-
tinctes : les céréales et l'élève des bestiaux.
Heeren relève avec soin tous les peuples agricul-
teurs, et il trouve qup, outre les nombreux cantons
de la Numidie qui produisaient des céréales, il y avait
les colonies agricoles du territoire de la capitale :
établissements dont l'abandon forcé par suite de la
guerre fut une des causes de sa décadence et de sa
ruine. C'est l'avis de Polybe, qui les appelle les Voi-
sins, Al Ttspiomôeç. Il y en avait plus de 200 au
temps d'Agathocle. Comme il était défendu de les
fortifier, elles offraient une proie facile à l'ennemi.
Toute la Byzacène était comme le grenier de
Carthage.
La fertilité de YEmporia est très-connùe.
Le vieux géographe Scylax en parle ainsi :
« L'Emporta, habitée par les Libyens, est la plus
<c magnifique contrée et la plus féconde. Elle abonde
a en troupeaux et les habitants sont les plus riches
« et les plus beaux de tous.
Elle avait des villes nombreuses et florissantes
encore au temps de Strabon.
Ces villes devaient être l'entrepôt des marchan-
dises de l'intérieur de l'Afrique; c'est pour cela que
Massinissa, en enlevant ce pays à Carthage, la priva
de sa dernière ressource , celle qui l'avait fait vivre
après la destruction de sa marine; il lui coupa, en
outre, par le fait de cette occupation, la route du
Soudan.
Cette opération militaire, conseillée ou tout au
moins permise par le sénat, a une portée considé-
rable qui n'a pas été assez mise en lumière.
C'était de la Byzacène surtout, comme nous l'ap-
prend Polybe en plusieurs passages, que Carthage
tirait ses approvisionnements.
Polybe vante beaucoup la fertilité de l'Afrique
carthaginoise au n e siècle , et c'est en témoin ocu-
laire qu'il en parle.
Les chevaux, les bœufs, les moutons, les chèvres
y formaient des troupeaux immenses tels qu'il n'en
avait vu dans aucun pays, et ils offraient une large
compensation aux tribus qui ne connaissaient pas
la culture.