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GALEHAUT SIRE DES ÎLES LOINTAINES

il reçut la lettre et la bailla à celui de ses clercs qu’il savait le mieux disant et de meilleur sens. Mais, dès qu’il y eut jeté les yeux, le clerc regarda la reine qui était appuyée sur l’épaule de monseigneur Gauvain assis à ses pieds, et il se prit à pleurer si fort qu’il n’eût su prononcer un seul mot, lui eût-on dû couper la tete. Le roi, ébahi, appela un autre clerc qui prit la lettre à son tour ; mais il la rejeta bientôt dans le giron de son seigneur et s’en alla, faisant le plus grand deuil du monde. Alors, le roi envoya quérir son chapelain, et, tout troublé, le conjura sur la messe qu’il avait chantée de lui lire tout ce qui se trouvait écrit, sans en rien celer. Et le chapelain, après avoir parcouru la lettre, soupira et dit :

— Hélas ! sire, il me faudra prononcer des mots qui mettront toute cette cour en tristesse !

Puis il lut ce qui suit :


La reine Guenièvre, la fille du roi Léodagan de Carmélide, salue le roi Artus ainsi qu’elle doit, et toute sa compagnie, barons et chevaliers.

Roi, je me plains de toi premièrement, car il ne convient pas à un roi de tenir une femme en concubinage comme tu fais. C’est vérité prouvée que je fus unie à toi par loyal mariage. Mais, soit par ta volonté ou par le conseil d’autrui, l’on mit en ma place celle qui était ma servante