Page:Bouniol - Les rues de Paris, 1.djvu/161

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reuses alliances de mots, ressource féconde des grands écrivains dans une langue qui ne permet pas, comme presque toutes les autres, de créer ou de composer des mots, ni d’en transplanter d’un idiome étranger… En lisant avec attention les Caractères, il me semble qu’on est moins frappé des pensées que du style ; les tournures et les expressions paraissent avoir quelque chose de plus brillant, de plus fin, de moins inattendu que le fond des choses mêmes ; et c’est moins l’homme de génie que le grand écrivain que j’admire. »

Il semble en effet que La Bruyère, pas toujours exempt de recherche, soit un ouvrier, non, un artiste merveilleusement habile dans l’art de bien dire et préoccupé surtout du désir de donner tout son relief à la pensée par l’expression. C’est un artiste, aussi voyons-nous qu’il excelle dans les portraits ; ils abondent dans son livre ou plutôt dans sa galerie, et touchés avec une largeur de pinceau en même temps qu’une délicatesse qui font que, tout en conservant, dans une certaine mesure, quelque air de ressemblance avec le type original et premier, ils ne sont point de simples copies, mais par des traits ajoutés et empruntés à divers modèles, nous saisissent par « cet ensemble de vérité idéale et de vérité de nature qui constituent la perfection des beaux arts. »

Dirai-je cependant qu’on voudrait chez l’écrivain plus de spontanéité, plus d’abandon ; une phrase qui se détendit parfois et où l’on ne sentît pas autant le savant et studieux arrangement. On aimerait que La Bruyère se souvînt un peu davantage du conseil de Régnier :