Page:Bouniol - Les rues de Paris, 2.djvu/218

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noirs, que surmontait un front large, élevé, nuancé des ondulations qui marquent la haute capacité. Cette grande physionomie était habituellement calme et présentait alors l’aspect concentré de la méditation. Mais, lorsqu’il parlait, on croyait tout à coup voir un autre homme ; tel que l’Ulysse d’Homère, on eût dit qu’il grandissait aux yeux de ses auditeurs ; un feu nouveau brillait tout à coup dans ses yeux ; ses traits s’animaient, sa figure devenait inspirée ; elle semblait apercevoir, en avant d’elle, les objets même créés par son imagination qui l’animait. Si Monge avait à dépeindre des formes idéales ou matérielles, il annonçait, il suivait du regard ces formes au milieu de l’espace ; ses mains les dessinaient par leurs mouvements ingénieux ; elles indiquaient les contours des objets comme s’ils eussent été palpables ; en fixaient les limites et ne les dépassaient jamais. Cette rare justesse dans la peinture mimique des formes, cette vue supérieure et si nouvelle, cette attention profonde, et la chaleur d’un ensemble si bien combiné de gestes, de regards et de paroles, absorbaient à la fois par tous les organes des sens l’attention des auditeurs. On craignait de faire le moindre mouvement dont le bruit pût troubler le charme de cette étonnante harmonie ; et l’on éprouvait tant de jouissance à voir uni le langage pittoresque de l’imagination aux explications méthodiques de la raison, que le temps passé dans les efforts de la contention d’esprit la plus soutenue, s’écoulait néanmoins, par un insensible et doux mouvement, qui faisait perdre le sentiment de la durée.[1]  »

  1. Ch. Dupin. — Essai historique sur Monge, in 4° 1819.