Page:Bouniol - Les rues de Paris, 2.djvu/329

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est souvent découragé. Outre cela, quoique les applaudissements que j’ai reçus m’aient beaucoup flatté, la moindre critique, quelque mauvaise qu’elle ait été, m’a toujours causé plus de chagrin que toutes les louanges ne m’ont fait plaisir. »

Ce langage sans doute paraîtra bien étrange, et même assez ridicule à beaucoup de jeunes lettrés aujourd’hui si contents de la prose facile qu’ils brochent, currente calamo et à tant la ligne, pour les journaux et que leur modestie ne trouve inférieure à aucune autre, fût-ce à celle de Fénelon ou Pascal.

Racine était très porté à la raillerie « la piété qui avait éteint en lui la passion des vers (et pourquoi donc ?) sut aussi modérer son penchant à la raillerie. » Il sut aussi profiter sous ce rapport des conseils de Boileau qui, plus d’une fois, avait eu à souffrir des vivacités de son ami.

Certain jour qu’ils discutaient ainsi à propos de littérature, Racine, emporté par son humeur, ne ménagea point les épigrammes et parfois presque sanglantes à son ami. Au moment de se séparer, Boileau dit avec un grand calme à son interlocuteur :

— Avez-vous eu dessein de me fâcher ?

— À Dieu ne plaise ! répondit Racine.

— Eh bien ! vous avez donc eu tort, car vous m’avez fâché.

Dans une autre discussion du même genre, Boileau, pressé par une argumentation victorieuse, mais railleuse et ironique, ne put s’empêcher de dire :

— Eh bien ! oui, j’ai tort, mais j’aime mieux avoir tort que d’avoir orgueilleusement raison.