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souvenir d’un peuple dispersé

poitrine ce besoin d’expansion. Il frappait l’onde avec une énergie dont il n’avait plus conscience ; ses compagnons, non moins heureux de leur prompt retour, imitaient sa manœuvre. La barque volait. Aussi vint-elle bientôt labourer de sa quille la vase de la falaise.

Le soleil n’avait pas encore détaché ses derniers rayons des plus hauts sommets.


II

Le premier soin des voyageurs, après avoir amarré solidement leur esquif au fond d’une anse obscure, fut d’escalader les plus grands rochers.

Malgré la raideur de la saillie, ils en vinrent facilement à bout ; ils n’étaient pas novices à cet exercice. En s’accrochant, tantôt aux fissures du roc, tantôt aux racines et aux branches des cèdres nains qui tapissent les plans les moins abrupts, ils parvinrent bientôt à plusieurs cents pieds de hauteur.

Le Bassin des Mines, après la passe étroite que garde le Cap Fendu, s’élargit tout à coup sur une espace d’à peu près vingt milles et se prolonge ensuite en se rétrécissant toujours jusqu’au Cobequid, formant un triangle allongé de cinquante milles de hauteur environ. Le Cap Porc-épic s’élève vers le milieu de la base de ce triangle ; c’est le point le plus élevé de toute la côte et le plus avancé dans la mer. C’est sur sa cime que venaient de s’asseoir les quatre jeunes gens.

Jacques était là, pétrifié dans son silence, non pas à cause de la fatigue causée par sa rude ascension, il n’en sentait rien ; non par raison de prudence, il ne songeait plus à la consigne ; mais on aurait dit qu’il venait de fouler les parvis d’un sanctuaire trois fois saint : c’est qu’il contemplait en cet instant toute sa patrie !… et qui a jamais tant aimé la sienne que ces pauvres Acadiens !

Du plateau qu’il occupait, la vue peut embrasser tous les établissements riverains jusqu’à Cobequid, et suivre les cantons infiniment variés que tracent sur cette brillante surface les rivages ombragés ou abrupts de la baie ; à des endroits ils s’avancent en lagunes étroites, comme pour se rejoindre à travers le bassin, jetant une frange de grands arbres entre les nappes argentées qu’ils divisent. Vingt rivières viennent se décharger au milieu de toutes ces anses, et l’on aperçoit dans un rayon immense la trace