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jacques et marie

Anglais, leur force et leurs moyens de défense. Ils occupaient le fond d’une anse située au pied d’une petite hauteur ; ils étaient au nombre de cent, à peu près, distribués autour de trois feux et s’occupant à discourir bruyamment comme des gens qui ont trop bu. Ils semblaient n’avoir prévu aucune attaque, deux sentinelles seulement stationnaient à chaque extrémité du camp ; un troupeau de bêtes et des amas de butin encombraient le rivage et les embarcations ; les armes étaient groupées par faisceaux à côté des soldats. Les imprudents ! ils n’avaient pas même fait occuper le monticule.

Nous nous hâtâmes d’y monter nous-mêmes, à travers les broussailles. Aussitôt arrivés au sommet, je disposai ma petite troupe sur trois files de dix hommes chacune, et je leur dis à demi voix : « Descendons d’abord à pas de loup, jusqu’à la moitié de la distance qui nous sépare de l’ennemi ; là, nous nous diviserons, dix à droite, dix à gauche, dix au milieu. Parvenus à vingt verges les uns des autres, vous vous rangerez en ligne de combat, vous armerez vos fusils, vous choisirez vos victimes et vous resterez attentifs… À mon signal, faites la décharge, jetez vos fusils, prenez vos couteaux et tombez tous ensemble sur eux. Frappez aux extrémités et au centre tout à la fois, et surtout frappez juste, pas un coup perdu, pas de merci !…

Nous partîmes : des branches mortes craquaient sous nos pieds, les feuilles s’agitaient à notre passage ; mais les Anglais riaient si fort que les sentinelles n’entendaient que les éclats de leurs voix. Nous nous glissâmes abrités derrière une lisière d’aunes qui s’étendait jusqu’aux abords du camp et le cernait en partie. Là, nous nous séparâmes, les dix hommes que je gardais avec moi se tapirent et j’attendis durant quelques instants, l’oreille tendue… Quand les branches eurent cessé de craquer, quand je n’entendis plus une seule feuille trembler, je jugeai que tous mes gens étaient à leur poste. Alors, je fis trois cris, imitant la voix du chat-huant ; les trois décharges éclatèrent et nous nous élançâmes le bras tendu, en poussant des rugissements sauvages.

Nous étions au milieu des Anglais, qu’ils n’avaient pas encore eu le temps de se reconnaître et de saisir leurs armes. Leur désordre était extrême, ils avaient peur de leur propre terreur ; en se précipitant les uns sur les autres, ils se croyaient assaillis de tous côtés par des bandes deux fois plus nombreuses ; ils se heurtaient, se frappaient entre eux avec tout ce qui leur tombait sous la main, pendant que nous en faisions un massacre épouvantable. Leur capitaine essaya vainement de les rallier et de les faire courir aux armes ; sourds à sa voix, ils se pressaient à ses côtés, se cachant le