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souvenir d’un peuple dispersé

mais elle la sauva. Sa pauvre mère, qui aurait pu se trouver froissée de l’impitoyable accueil fait à ses débuts, était toute heureuse du résultat qu’ils avaient eu pour son enfant, et elle était prête à recommencer la dose ; mais Marie lui épargna ce soin délicat, en la priant de lui passer la lettre, lui faisant signe, en même temps, de s’approcher bien près d’elle, pour qu’elle pût se faire entendre.

Alors elle recommença la lecture de la précieuse épître que sa mère avait trop agréablement variée pour ne pas en altérer un peu le sens et l’effet : la voici intégralement :

« Monsieur, dans votre douleur, j’ai la consolation de vous apprendre que j’ai pu obtenir de notre colonel que vous resteriez libre dans votre famille, sous ma responsabilité, jusqu’au moment du départ des vaisseaux. C’est tout ce que j’ai pu pour vous aujourd’hui ; peut-être que si j’étais dans d’autres conditions, il me serait permis d’espérer davantage, mais il faudrait pour cela l’intervention de la Providence, et des actes qui ne dépendent pas de ma seule volonté : je prie et je désire de toute l’ardeur de mon cœur que ces choses s’accomplissent… Je n’ai dans ce moment qu’une pensée, qu’une seule préoccupation, c’est d’alléger vos maux. Ma position est bien précaire, mon action est fort restreinte ; mais s’il est quelque bien, quelque grâce que je puisse obtenir pour vous, faites-les moi dire par Pierriche. Veuillez aussi m’apprendre l’état où vous vous trouvez tous.

« Votre ami dévoué et respectueux,
« George Gordon »

À ces derniers mots, Marie laissa tomber le papier, et elle sentit de nouveau le tremblement de la feuillée de liane courir sur ses membres ; mais un effort de sa volonté y ramena bien vite le calme ; elle étendit ses deux bras autour du cou de son père et de sa mère, et attirant leur tête sur son sein, elle leur dit en touchant leur front de ses lèvres :

— Que Dieu le bénisse, il a eu pitié de vous, au moins, cet ennemi-là ; il est bon, monsieur George, n’est-ce pas, père ?…

Le père fit un léger signe de tête, mais ne répondit pas.

Pierriche, impatient de voir que personne n’articulait une syllabe après une pareille lecture, se hâta de s’écrier :

— Je vous l’avais bien dit qu’il voulait vous sauver tous !

Puis s’approchant de sa petite maîtresse les mains jointes, avec un air d’adoration : — Mon Jésus, mamselle ! ajouta-t-il, que ça me donne du contentement de vous voir sourire ainsi de la façon d’autrefois ;