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jacques et marie

c’est toujours comme ça que je vous voyais, moi ! avec ça, seulement que vous étiez plus colorée. Monsieur George va se ravigoter aussi, quand je vais lui dire comment vous vous sentez. Je vous assure qu’il faisait une furieuse lippe quand je l’ai quitté, et que ça lui démangeait le cœur tout autant qu’il moi d’avoir de vos nouvelles ! N’est-ce pas que je lui dirai que vous êtes bien ?

— Oui, mon Pierriche.

— Que vous êtes bien heureuse de ce qu’il fait pour vous ?

— Mais oui, mon garçon.

— Que vous voulez bien être sauvée, s’il peut le faire et si c’est son envie, à lui ?… N’est-ce pas que vous viendrez encore à la ferme, tous les soirs ?… Ah ! c’était trop dur, l’idée de quitter tout ça à l’abandon, moi qui ai tant soigné toutes ces pauvres bêtes !… Ma chère Rougette ! si vous saviez comme ça me crevait le cœur de lui dire adieu !… Tenez, tout à l’heure, après avoir embrassé not’vieille mère, je n’ai pas pu m’empêcher d’aller à l’étable… et je l’ai embrassée aussi, ma Rougette, elle et son veau, sur les deux joues. Voyez-vous, mamselle Marie, si ça vous plaisait de rester, j’en aurais encore plus de soin. Et vos poules !… qui vous ont fait vendre tant d’œufs à M. George ; je vous promets qu’elles pondraient… qu’elles pondraient… qu’elles pondraient !… — et Pierriche étendait les bras comme s’il eût eu des œufs à brassée, et ses larmes inondaient son visage. — N’est-ce pas, maîtresse, que je lui dirai tout ça, à monsieur George ?

— Pas tout, Pierriche, pas tout ; mais tu lui diras qu’il a tant de titres à notre reconnaissance, que nous ne pourrons jamais assez le remercier, et que nous prierons Dieu pour qu’il lui rende le prix de ses bienfaits.

— Rien que ça ?

— Oui, Pierriche.

— Et vous, monsieur Landry, dit le garçon en regardant le vieillard avec une expression de bienfaiteur modeste, vous auriez-t-il quelques services à demander, pour faire plaisir à not’maître ?

— Non, mon homme, aucun autre pour le moment ; tu remercieras M. le lieutenant comme te l’a dit Marie ; vas.

Aussitôt Pierriche s’achemina vers la porte ; il se faisait tard. En s’éloignant, le garçon tournait et retournait son feutre, se grattait le front, regardait en arrière, comme un homme qui n’est pas tout à fait satisfait de sa mission. Il n’avait pas parlé de Jacques, et ça lui démangeait violemment la langue, comme il aurait dit lui-même.

Marie lui avait paru si faible qu’il avait senti son indiscrétion