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souvenir d’un peuple dispersé

les fit apercevoir à sa sœur qui le retenait toujours par la main, et il lui dit à l’oreille :

— Il n’y a pas de rêve d’espérance là, Marie !…

P’tit-Toine essuya alors les grosses larmes qui commençaient à l’aveugler, et pour tenir parole à Marie, il lui tendit les bras, et tenant toujours les yeux fixés vers le lit vénéré, il n’embrassa qu’elle seule… Mais on aurait dit que dans cette étreinte suprême, il serrait tout ce qu’il aimait au monde.

Après ce moment de pieuse consolation, où cet enfant avait paru respirer l’amour et la bénédiction de ses parents, il sortit de cette chambre, quitta les bras de sa sœur et le seuil de sa maison.

La fiancée, retirée de nouveau chez elle, se hâta d’allumer la lampe suspendue devant sa madone et s’apprêta de suite à se mettre au lit. En délaçant le corsage de sa robe, un vieux papier glissa dans les plis de sa jupe ; mais elle ne s’en aperçut pas, tant elle s’empressait de chercher un repos qui lui était bien nécessaire. Il ne se fit pas attendre longtemps : pendant qu’elle regardait les vacillements de la veilleuse ravivée et que ses mains se tenaient jointes sur son cœur comme pour formuler une prière muette, ses beaux cils noirs descendirent comme un voile de deuil sur son regard attristé ; il ne resta plus sur sa figure que les traces vagues d’une grande douleur assoupie.


XIV

Dix heures venaient de sonner dans le silence et la tristesse de la vieille maison blanche. Le père Landry, sa femme et leur fille s’occupaient à sortir des armoires et à détacher de diverses parties de la maison le linge, les habits et tous ces effets d’usage continuel qu’il faut prendre quand on part pour un long voyage dans des régions inconnues. Un sentiment profond de découragement se manifestait dans leur démarche ; la tristesse dominait surtout les deux femmes : elles étaient indécises, distraites, aveugles. On voyait seulement que Marie faisait de grands efforts pour garder les apparences du courage et soutenir celui de ses vieux parents ; mais son trouble la trahissait souvent, elle venait les bras chargés de choses inutiles et s’en retournait quelquefois avec les nécessaires.

— Allons, disait le père, qui liait les paquets, ayons plus de force, ne nous troublons pas ; ma pauvre enfant, ne prend que les