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jacques et marie

George. Il y a quelques jours, il m’a demandé ma main ; la difficulté des circonstances, puis votre absence et le trouble où nous nous sommes trouvés depuis, m’ont empêchée jusqu’à ce moment de vous confier cette proposition, et de vous demander vos conseils et une décision. Aujourd’hui, ce mariage est la seule chose qui puisse vous sauver, vos enfants et vos biens… Les moments sont précieux ; jugez si vous devez y consentir. Je soumets tout a votre volonté… Ce qui pourra faire votre bonheur, fera le mien…

— Et le mien aussi, interrompit sa mère, et celui de M. George. N’est-ce pas, M. George, que vous en serez très heureux ?…

— Ah ! madame, ce serait mon plus grand bonheur !… et c’est tout ce qui peut me faire solliciter cette faveur…

— N’est-ce pas, mon mari, que tu donnes ton consentement, comme je donne le mien… puisque ça doit satisfaire tout le monde, sauver tes enfants ?… Ah ! sauve nos enfants, nos pauvres enfants !… Qu’ils ne puissent pas te reprocher leur exil, leurs tortures ; et puis, qu’est-ce que tu pourras faire, toi, en exil, vieux, peut-être séparé de tes plus forts soutiens, peut-être sans moi ?… car bien sûr, je ne pourrai survivre… j’en mourrai, je le sens !…

Ici, Marie, que ses forces ébranlées par tant d’assauts soutenaient à peine, les sentit céder tout à fait sous son émotion, et elle vint de nouveau s’appuyer contre sa mère, ce qui interrompit la plainte de la bonne femme.

— M. le lieutenant, reprit aussitôt le vieillard, qui n’avait pas paru profondément touché des lamentations de sa femme, vous êtes donc venu pour me demander ma fille en mariage ?

— Oui, monsieur, je venais avec l’espoir d’obtenir votre consentement.

— Ce n’était pas la peine, monsieur ; je n’ai jamais prétendu gêner les sentiments légitimes de ma fille ; si elle en sent assez pour vous épouser, elle peut le faire ; elle est libre, elle a l’âge nécessaire pour décider elle-même de ses propres volontés. Nous lui avons toujours laissé le choix de son bonheur, et elle ne s’est jamais plaint que nous l’empêchions d’y arriver. Nous n’avons exigé de nos enfants que d’être honnêtes jusque dans leur pensée, et de respecter la loi de Dieu, l’honneur de leurs parents et de leur pays. Parlez donc à ma fille, monsieur ; je n’ai pas la garde de son cœur ; elle ne me doit que l’amour d’un enfant ; vous lui en avez demandé un autre, il n’appartient qu’à elle de le donner. Le mariage, paraît-il, sera chose facile ; Marie a là une toilette de noce, et le notaire et le père ont reçu tout exprès leur liberté… Il ne