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jacques et marie

parents, incendier leurs demeures ; il l’a tué sur un champ de combat, et il vous l’a dit, lui, parce qu’il était fier de son action, et qu’il n’a pas peur de la vérité… Vous, monsieur, vous avez tué, par un mensonge, sa foi dans ma parole, son espérance dans mon amour, son orgueil dans ma vertu ; ceci n’est pas honnête, c’est un crime contre la probité… Ce brigand de Jacques serait donc votre maître dans les voies de l’honneur ?… Votre gouvernement peut se croire le droit de lui ôter la vie ; vous, monsieur, vous n’avez pas celui de lui ravir un sentiment légitime, une confiance juste, une consolation à la mort ; vous n’avez pas le droit de laisser mourir mon nom marqué d’infamie, dans le cœur de mon fiancé…

George avait fait trois pas du côté de la porte ; il s’arrêta sous le coup de ces paroles qui le frappaient comme l’arrêt d’une souveraine justice ; il chancela un instant d’irrésolution, puis il franchit le seuil en murmurant :

— Non ! non ! qu’il meure, le misérable, le traître… qu’il meure sans consolations !


XV

À peine George était-il sorti, que les trois habitants de la ferme des Landry furent entraînés par un même sentiment dans les bras les uns des autres ; ce ne fut qu’une même étreinte, longue, silencieuse, mais surtout brûlante de tendresse. Ils ne purent rien se dire ; ils s’admiraient, ils s’aimaient dans leur générosité sublime ; tout voile était déchiré entre leurs âmes unies ; plus de soupçons, plus d’incertitudes isolées, plus de trames secrètes ne les séparaient. La mère avait compris tout ce qu’il y avait de noble délicatesse dans les sentiments de son mari et de sa fille ; l’héroïsme d’une action s’impose à l’admiration de tous, même des intelligences médiocres : quoiqu’incapables de concevoir des dévouements désintéressés, ces natures en subissent involontairement le prestige, quand elles ne sont pas dégradées. La brave femme perdit donc bien vite le souvenir de ses naïves ambitions, de ses frayeurs de l’exil, et comme toutes les vraies mères, comme toutes les fortes épouses de ce temps, elle ne songea plus qu’à partager la vie et les souffrances de ses enfants, et à suivre avec respect et amour le chef de la famille dont l’autorité doit répondre des lâchetés de sa maison, dont le nom doit porter le déshonneur comme la gloire des siens. Ces trois cœurs s’abandonnèrent longtemps à cette joie sainte dm