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souvenir d’un peuple dispersé

t’ont délivré, hier soir, pour ne songer qu’à ma bévue de l’autre jour qui a failli te coûter la vie. Mais si j’ai contribué à te faire saisir, j’ai aussi contribué à te délivrer : il y a une preuve de courage contre une preuve de poltronnerie. D’ailleurs, je m’ai pas crié, hier, quand une balle m’a fait ce vilain acroc dans le fond de mon feutre…

— C’est vrai, mon petit frère, je te demande pardon : la bravoure doit exister dans un sang où il y a tant de générosité ; il te fallait seulement une occasion de la montrer. Et bien ! en voici encore une ; viens avec nous, je compte beaucoup sur toi. Mais avant, attache-moi ce pauvre Farfadet à un arbre, car il pourrait nuire à notre expédition.

Jacques instruisit Wagontaga en peu de mots de son nouveau projet.

— Oh ! oh ! fit le Micmac en frémissant, voilà qui est digne de véritables guerriers !… Nous rapporterons autre chose que de la laine… nous ne mangerons pas que de la chair de moutons, comme des loups !… nous ne boirons pas que du sang de bêtes !

Deux hommes seulement avaient des fusils avec eux. Dans cette nuit obscure, et pour le but que la troupe se proposait d’abord, on n’avait pas cru devoir s’embarrasser de ces armes. Wagontaga en portait un ; Jacques le fit partir en avant avec un autre sauvage, pour éclairer la marche. Et lui-même se mit à leur suite avec ses autres compagnons, qui n’étaient armés que de coutelas et de tomahawks. Tous disparurent bientôt dans les ténèbres, s’acheminant dans ce sentier détourné qu’avaient suivi George et Marie, après leur rencontre au cimetière.


XXVI

Pendant que notre héros s’avance sur le chemin de nouveaux combats et d’autres aventures, je vais dire par quelle suite de coïncidences merveilleuses il se retrouve vivant, sur ces mêmes lieux où il aurait, dû infailliblement périr. Car, malgré que les Anglais eussent fait leur possible pour le faire disparaître de la scène du monde, c’est bien notre Jacques et non pas son ombre que nous venons de voir et d’entendre.

On se rappelle qu’Antoine, après sa visite à la maison de son père, en repartit le même soir pour aller à la recherche de son frère André, et s’assurer s’il n’était pas resté blessé ou mort quelque part près de l’endroit où Jacques avait été arrêté. Il connais-