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jacques et marie

pied ; les panneaux éclatèrent et la foule, refermant tout à coup sa masse, se précipita dans l’ouverture, emportant avec elle les débris du bois et le cadavre de Butler.

Jacques et ses compagnons, entraînés par cette excitation que donne le succès, avaient bientôt épuisé le brasier formé pour allumer l’incendie, et ils plongeaient maintenant leurs fourches en pleines tasseries, retirant le foin en lambeaux échevelés du milieu de la flamme qui envahissait la grange, pour venir le lancer dans les fenêtres des chambres à coucher, où quelqu’un pouvait s’être réfugié.

— Allons, s’écria Jacques, c’est assez pour ici ; courons du côté de la cuisine, c’est la seule voie qui leur reste !

En même temps, il franchit la clôture du jardin, suivi maintenant de tous ses hommes, qui n’avaient plus à garder des postes devenus inutiles. Mais dans le même instant, les Anglais, qui venaient de briser l’obstacle qui les avait retenus si longtemps, se précipitèrent dans les fenêtres de la petite salle et de la cuisine, et ils reçurent en face une décharge terrible. Mais ils ne pouvaient plus retourner sur leurs pas ; leur seule chance de salut était devant eux. Poussés les uns par les autres, ils se culbutèrent pèle-mêle sur leurs assaillants, qu’ils entrevirent pour la première fois. Ceux-ci tombèrent dessus avec leurs bâtons, leurs fourches et leurs coutelas, et en laissèrent plusieurs sur le carreau. Un grand nombre, cependant, réussirent à s’échapper ; comme ils sortaient de deux côtés, sur la rue et sur le jardin, et par plusieurs ouvertures, et su’ils se dispersaient dans tous les sens, il fut impossible à notre petite troupe de les atteindre tous. Le dernier était à peine sorti des fenêtres que de long jets de flammes attirés pur le courant des fuyards s’élancèrent comme pour les menacer encore au loin.

Jacques donna le signal de la retraite ; l’alarme devait être portée aux casernes, car les cuisiniers avaient dû s’échapper depuis quelque temps ; l’incendie allait envelopper la maison, la grange et toutes les dépendances ; ses lueurs pouvaient compromettre la retraite de sa troupe ; il renonça donc à poursuivre l’ennemi : d’ailleurs, il était satisfait de son succès ; Butler n’avait pu manquer de périr avec quelques autres ; Murray devait au moins porter de cuisantes brûlures, s’il n’avait pas été tout-à-fait écorché par la flamme ; plusieurs étaient restés gisant dans le jardin ; tous s’en allaient avec des habits rognés, troués, noircis, des chevelures privées de leurs queues, des visages balafrés, dont plusieurs sans barbe et sans sourcils ; enfin, l’état-major se trouvait sans abri, et tous ces officiers superbes allaient être forcés, le lendemain, de présenter à