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jacques et marie

à Jacques de s’approcher, il lui dit à voix plus basse, en lui montrant un petit crucifix qu’il tenait entre sa main et son cœur :

— Je veux mourir catholique, j’ai pris cette résolution depuis plusieurs années… ce n’est que l’occasion qui m’a manqué… je suis prêt… je sais ce qu’il faut croire… je désire être baptisé.

— Courez chercher l’Abbé Daudin, dit Jacques à l’un de ses hommes, il doit être à la ferme Dumont.

— C’est trop loin !… murmura George ; le Père a, là, beaucoup à faire avec les siens, il ne viendra pas ici pour un Anglais.

— Il viendra, s’écria Jacques ; cours, Bastarache !

— Il y viendrait pour le diable, dit celui-ci en prenant ses jambes à son cou, si le diable voulait un tant soit peu ne plus être protestant et goûter de l’eau bénite, comme ce bon confrère anglais !

Mais le messager était à peine parti qu’une seconde défaillance s’empara de l’officier ; Jacques crut que c’était l’agonie, il courut à un ruisseau voisin, puisa de l’eau dans son chapeau, et, revenant au mourant, il fit sur sa tête l’ablution baptismale en prononçant les paroles sacramentelles. George n’avait pas complètement perdu l’usage de ses sens ; l’on voyait, au mouvement régulier de ses lèvres, qu’il récitait une prière, et sa figure semblait s’illuminer de cette joie surnaturelle qui rayonne d’une âme éclairée soudainement par la foi. Il resta, durant un moment, silencieux et recueilli, puis il baisa la croix qui pendait à son cou, et, l’élevant ensuite vers Jacques, il murmura à son oreille :

— Je l’ai trouvée près de la maison du père Landry, après le départ de la famille, et je l’ai toujours portée ; elle m’a bien inspiré ; elle m’est arrivée quand mon bonheur terrestre m’était ravi pour me conduire vers des jouissances meilleures !… Vous la laisserez reposer sur mon cœur… Je puis, à présent, être mis dans une enceinte bénie ; je désire être enterré avec notre pauvre P’tit-Toine : que je sois uni éternellement avec un de ces cœurs honnêtes, sur cette terre où l’on maudira si longtemps le nom des Anglais !… Jacques, quand vous retrouverez Marie, dites-lui que j’ai expié mes torts envers elle, que j’ai travaillé à votre réunion, que j’ai reçu mon pardon de votre main avec le titre de ma foi… Demandez-lui de ne pas haïr quelqu’un qui l’a sincèrement aimée… Dites lui, Jacques, dites-lui que j’emporte l’espoir, en mourant dans le sein de son Eglise, de confondre ma vie avec la sienne dans l’océan de l’amour divin… Mon cher rival, ajouta-t-il avec plus de difficulté, la jalousie est une chose de la terre… elle ne sépare personne, là-haut… là, rien que l’amour !… que l’amour infini !…

Jacques sentit encore un léger pressement sur sa main, après