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jacques et marie

tant, en goûtant une nouvelle émotion, en passant devant un nouveau tableau.

Après une demi-heure de marche, les traces de défrichements plus considérables se manifestèrent de nouveau : le bois s’éclaircit sensiblement, la route devint mieux frayée, des haies d’arbres renversés annoncèrent l’existence de la propriété ; on entendit à quelque distance le bêlement d’un troupeau et des voix d’enfants qui s’appointent ; enfin, en tournant une ance de la rivière, les deux compagnons virent apparaître, sur une pointe de prairie verte, un petit chaume bien propret qui se cachait sous un groupe de grands ormes ; plus loin encore, leur regard put embrasser une suite d’éclaircies non interrompues s’étendant de chaque côté de la rivière ; ici, la main du défricheur avait fait une vigoureuse trouée ; la paroisse nouvelle était bien fondée ; à plusieurs endroits, une moisson abondante mêlait ses teintes dorées au sombre feuillage de la forêt vierge, et des habitations se montraient entourées de toutes les dépendances d’une métairie déjà florissante.

Jacques hâta le pas, comptant les maisons, mesurant sa marche qui lui semblait sans fin. Quoiqu’il rencontrât maintenant quelques personnes, il n’osait plus leur faire de nouvelles questions sur les Hébert ; il attendait pour cela qu’il fût arrivé près du sentier qui conduisait à la prairie de la Magdeleine, au-delà des Bondreau, des Dupuis et des Bourgeois ; il se contentait de se faire désigner les demeures de ceux-ci. S’il devait être encore trompé dans son attente, il voulait au moins garder ses illusions jusqu’à la fin.


VIII

Enfin, arrivé dans une passe où le bois se rapprochait sensiblement de la route, les voyageurs crurent distinguer dans une tranchée coupée dans le taillis et formant sentier, des figures humaines. La nuit était presque venue : ils attendirent un instant, pour s’assurer s’ils ne s’étaient pas trompés. La rivière faisait à cet endroit une forte saillie sur la rive où ils marchaient, à quelques pas en avant d’eux ; sur sa surface polie et encore légèrement éclairée par l’image du ciel, tous les objets dessinaient leur silhouette. Jacques ne resta pas longtemps à son point d’observation avant de voir glisser entre ses yeux et le miroir de l’eau deux formes qui ne lui laissèrent aucun doute sur leur nature. C’était bien le