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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Vous ne m’avez pas dit encore si vous m’acceptiez pour époux ? dit Claude.

— Je… Je vous accepte, car… car… moi aussi, je vous aime… depuis le premier moment de notre rencontre, répondit-elle, en cachant son visage sur l’épaule de Claude.

— Magdalena. Ma bien-aimée ! Mon ange ! Vous êtes ma fiancée chérie, dès ce moment-ci, et, n’est-ce pas que nous nous marierons dans les premiers jours du mois de juin ?

— Oui, M. de L’Aigle, si…

— Je me nomme Claude, Magdalena.

— Oui… Claude, murmura-t-elle. Mais, je dois vous expliquer, tout d’abord, pourquoi je porte le costume masculin… commença-t-elle, tout en se demandant quelle explication elle allait bien donner.

— Pourquoi m’expliquer ce que je comprends très bien, ma pauvre enfant ?

— Ce que… Ce que vous comprenez, dites-vous ?

— Sans doute ! Obligée de vivre au milieu du plus sauvage des décors, seule avec votre oncle, rien ne pouvait mieux vous protéger que de vous faire passer pour un garçonnet.

Magdalena était trop jeune, trop naïve peut-être pour discerner tout le tact que renfermait cette explication de Claude. Il soupçonnait un mystère, bien sûr ; mais il se disait que ça ne le concernait nullement. Tout ce dont il était convaincu c’était que ce mystère n’avait aucun caractère de gravité, encore moins de culpabilité.

La jeune fille soupira, soulagée. Combien elle eut voulu cependant, n’avoir aucun secret pour son fiancé ! Mais, c’était impossible. Si elle dévoilait l’un des secrets de sa vie, il lui faudrait les dévoiler tous ; autant dire qu’elle renonçait à Claude à l’instant et pour toujours.

— Voilà votre oncle, Magdalena ! fit Claude, entendant des pas s’approcher de la maison. Ce soir, après le souper, je lui parlerai.

— C’est entendu, répondit-elle, puis elle courut s’enfermer dans sa chambre, car elle ne pouvait se résoudre à rencontrer le regard de son père adoptif, dans l’état d’émotion où elle était ; tout de suite, il eut deviné qu’il venait de se passer quelque chose entre elle et Claude.

Après le souper, elle saisit le premier prétexte venu pour retourner à sa chambre ; mais à travers la porte fermée, elle pouvait entendre les voix des deux hommes. Elle ne saisissait pas ce qu’ils disaient, mais les exclamations étonnées de Zenon Lassève, puis la voix plus calme de Claude de L’Aigle, racontaient assez clairement ce qui se passait.

Ils causèrent ensemble pendant une longue heure, puis Magdalena entendit les pas de Zenon s’approcher de sa chambre. Il frappa à la porte et elle courut ouvrir.

— Viens, Magdalena, dit-il d’une voix grave. Je sais tout et…

— Magdalena, fit Claude, lorsque la jeune fille fut arrivée auprès de lui, votre oncle a donné son consentement à notre mariage… Que Dieu le bénisse pour cela !

— Ô Claude ! dit-elle, en posant sa main dans celle de son fiancé.

— N’est-ce pas que nous nous marierons dès les premiers jours de juin, ma toute chérie ?

— Oui, mon Claude, dès les premiers jours de juin… si mon oncle n’y a pas d’objections…

— Et, écoutez, ma bien-aimée… nous partirons, immédiatement après notre mariage pour l’Europe, où nous passerons deux ou trois mois, ce projet vous agréé-t-il ?

— Pour l’Europe ! s’écria Magdalena. Oh ! Mon oncle, reprit-elle, en s’adressant à Zenon, avez-vous entendu ce que vient de dire… Claude ? Un voyage de deux ou trois mois en Europe !

— Ce sera certainement un splendide voyage de noces ! répondit Zenon.

— Moi qui n’ai jamais voyagé de ma vie ! dit-elle. Et il y a tant de choses que je désire voir, de l’autre côté de l’océan ; des choses dont j’ai lu souvent, mais que je pensais bien ne jamais voir !

— Ainsi, mon plan vous va tout plein, ma chérie ? demanda Claude.

— Certes ! répondit-elle.

M. Lassève et moi, nous avons décidé de bien des choses… Votre oncle a promis de vous répéter toute la conversation que nous venons d’avoir ensemble ; je suis…

— Vous êtes fatigué, je crois, M. de L’Aigle, acheva Zenon. Je n’aurais pas dû vous laisser parler si longtemps, car vos forces ne sont pas encore tout à fait revenues, il s’en manque ! Je répéterai fidèlement toute notre conversation à Magdalena, je vous le promets. Mais, si vous voulez suivre mon conseil, que je crois sage vous vous mettrez au lit immédiatement.

— Mon oncle a raison, Claude, dit Magdalena. Il y a de grands cercles noirs sous vos yeux ; vous devez être bien fatigué.

— Je vous obéis, répondit Claude en se levant. M. Lassève, ajouta-t-il, me permettez-vous de donner un baiser à ma chère et douce fiancée ?

— Je vous le permets… si elle n’a pas d’objections, s’entend, fit Zenon, moitié grave, moitié souriant.

Magdalena pleura beaucoup, lorsque Claude partit, le lendemain avant-midi ; mais ses larmes furent assez vite séchées par le sourire ; la séparation serait de courte durée. Claude avait promis de revenir dans une huitaine de jours, si les chemins étaient passables.

Elle était décidée à une chose : quand son fiancé reviendrait, il la trouverait vêtue comme elle devait l’être. Dès le lendemain, elle ferait venir, de la ville de Québec, du matériel, dont elle se confectionnerait deux ou trois robes, simples mais jolies.

Dès le lendemain aussi, Zenon commencerait à annoncer à ses connaissances du village de Saint-André que Théo allait le quitter ; qu’il retournerait dans la Province d’Ontario, sa mère le faisant demander. Il saurait bien se prendre un air désolé en annonçant cette nouvelle, car on ne manquerait pas de le plaindre de perdre ainsi son neveu qu’il aimait tant ! À cause des mauvais chemins, à cause de la saison, personne ne s’aventurerait sur la Pointe Saint-André ; il n’y avait donc pas de danger qu’on découvrit le pot aux roses.

Séverin… Eh ! bien, Séverin était resté muet d’étonnement lorsque Zenon lui avait ap-