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le mystérieux monsieur de l’aigle

pris ce qui s’était passé durant son absence : Théo, une jeune fille déguisée, ayant nom Magdalena ! Et elle allait épouser ce M. de L’Aigle qu’il avait entendu désigner, même à son dernier voyage à la Rivière-du-Loup, du nom du « mystérieux M. de L’Aigle » ! Mais, bah ! Ça ne signifiait rien cela après tout, et la petite serait heureuse dans ce magnifique domaine L’Aire, dont on disait de si merveilleuses choses !

Le temps passait vite, vite, surtout pour Zénon et Sévérin, qui ne voyaient pas sans appréhension arriver le jour où Magdalena les quitterait. Claude était venu aussi souvent qu’il l’avait pu à La Hutte, voir sa chère fiancée. À son dernier voyage, il avait dit, au moment de partir :

— Magdalena, ma toute chérie, je ne reviendrai que le 2 juin, jour fixé pour notre mariage. À six heures précises, le matin du 2 juin (dans huit jours maintenant), L’Aiglon mouillera devant La Hutte. Vous serez prête, n’est-ce pas, ma Magda ?

— Je serai prête, mon Claude, avait-elle répondu en se suspendant au cou de son fiancé.

— Que je t’aime, Magdalena !

— Que je t’aime, Claude !

— Je vous rendrai si heureuse, ma toute chérie !

— Je le sais, mon aimé !

— À bientôt, ma douce fiancée !

— À bientôt, mon fiancé chéri !

XX

SAGES CONSEILS

Dans la salle d’entrée de La Hutte, Magdalena et Zenon sont assis. Il est sept heures du soir. Chacun d’eux est occupé à sa manière : Zenon est à polir un morceau de bois découpé avec du papier sablé ; Magdalena travaille à son trousseau. Claude lui a bien recommandé pourtant de ne pas se fatiguer à coudre.

— Votre trousseau, Magdalena, lui avait-il dit, tout dernièrement, vous l’achèterez soit à Paris, soit à Londres. Ne vous fatiguez pas inutilement, ma chérie.

Cependant, elle n’allait pas se marier sans trousseau ; elle en aurait un, tout modeste fut-il.

Soudain, Zenon déposa sur la table le morceau de bois qu’il était à polir et dit :

— Magdalena, je profite de ce que Séverin est allé au village pour te demander une question… Y répondras-tu ?

— Certainement, mon oncle. (Il avait été convenu entr’eux qu’elle continuerait à donner à Zenon le titre d’oncle). Quelle question désirez-vous me poser ?… Je vous écoute…

— Bien… Voici… As-tu dit à M. de L’Aigle… l’as-tu mis au courant des… des événements de ta vie, Magdalena ?

— Vous voulez parler de…

— De… tout !

— Je n’ai certainement pas dit à Claude que mon père était mort sur l’échafaud, oncle Zenon, si c’est à cela que vous faites allusion.

— Ton père est mort martyr, ma fille.

— Je le sais bien ! Mais, qui le croit, à part de vous et moi… et peut-être l’avocat qui a essayé de défendre mon père, en cour ? Même Mme d’Artois, qui nous était si dévouée pourtant, croyait mon père coupable de vol et de meurtre…

— Mais, M. de L’Aigle… si tu lui racontais tout, ma fille… commença Zenon.

— Jamais ! Jamais ! cria-t-elle. Croyez-vous vraiment que, le sachant, il m’épouserait… dans six jours maintenant ?

— Il t’aime tant, Magdalena ! Que lui ferait, à lui, de savoir ce qui en est… ou plutôt ce qui en fut ?… Et puis, il y a ce sommeil léthargique dont tu t’es éveillée et qui t’a suggéré l’idée de te faire passer pour morte… Dans cette affaire, je prendrai ma part de responsabilité et…

— Mon oncle, c’est parfaitement inutile de me parler ainsi ! Je ne lui dirai rien à Claude, rien, entendez-vous, rien !… sanglota-t-elle.

— Oh ! ma pauvre Magdalena !…

— Il dit qu’il comprend pourquoi j’ai endossé le costume masculin…

— Il feint de l’avoir compris, chère enfant ! M. de L’Aigle n’est pas un naïf, que je sache.

— Claude est… parfait, mon oncle !

— Bien sûr ! Bien sûr ! s’empressa d’acquiescer Zenon. Mais, écoute, ne te marie pas sans tout lui dire à ton fiancé, ma fille ! Une femme ne doit avoir aucun secret pour son mari. Ce secret pèserait sur ta conscience continuellement et t’empêcherait d’être tout à fait heureuse. Ô Magdalena, laisse-moi aller à L’Aire, demain, et tout raconter à M. de L’Aigle ! Il t’aime trop pour que ça lui fasse de différence… Et quel soulagement pour toi ensuite que celui de savoir…

— Cher oncle, pourquoi parler pour ne rien dire ? s’exclama Magdalena en pleurant. Votre conseil est sage, je le sais ; mais j’aime trop Claude pour risquer de… de le perdre.

— Pourtant, chère petite, ce serait infiniment pire s’il découvrait un jour, de lui-même…

— Il ne découvrira jamais… quoi que ce soit, assura-t-elle. N’en parlons plus, cher oncle Zenon ; c’est me rendre misérable pour rien… Je suis Magdalena Lassève et… je n’ai pas de passé.

— Comme tu voudras, Magdalena ! répondit, en soupirant, Zenon. Puisses-tu ne jamais regretter ta décision, pauvre enfant ! ajouta-t-il en se levant. C’est, tu l’avoues toi-même, un sage conseil que je viens de te donner. C’est dans ton intérêt que je t’ai parlé ; parce que je t’aime plus que tout au monde et que je désire tant te voir heureuse… Mais puisque tu juges à propos de passer outre…

— Mon oncle ! Mon oncle ! Cher, cher oncle Zenon ! Ne me croyez pas ingrate, je vous prie ! Je ne le suis pas ! Seulement, je ne peux pas me décider à suivre votre conseil, tout sage soit-il. Vous ne m’en voulez pas, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en entourant de ses bras le cou de Zenon Lassève, tandis que des larmes pressées coulaient sur ses joues.

— T’en vouloir, chère enfant ? Assurément, non ! Et, je le répète, puisses-tu être heureuse, ma chérie ; aussi heureuse que tu mérites, certes, de l’être ! s’écria Zenon qui, lui aussi, pleurait.

Puis il s’empressa de quitter la salle, car il