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le mystérieux monsieur de l’aigle

reuse la chère petite Mme de L’Aigle.

À la date du 9 août, une lettre de Magdalena arriva à L’Aire, à l’adresse de Mme d’Artois, puis une autre arriva à La Hutte, à l’adresse de Zenon Lassève. Magdalena leur annonçait leur retour pour le 28. À cette date, L’Aiglon devrait aller au-devant d’eux, à la Rivière-du-Loup ; les mariés comptaient arriver à L’Aire entre midi et une heure, ce jour-là.

Aussitôt après la réception de cette missive, Mme  d’Artois résolut de faire faire un grand ménage. Toute la maison serait nettoyée, de la cave au grenier, afin que tout fut propre comme un sou neuf, à l’arrivée de M.  et Mme de L’Aigle. Des femmes furent engagées et bientôt le nettoyage se faisait et tout marchait « comme sur des roulettes » pour parler comme Candide.

Enfin, le 28 août, le yacht L’Aiglon ayant été signalé, entre midi et une heure, Zenon Lassève, Mme d’Artois et Séverin Rocques s’installaient à l’entrée de la petite baie, pour y attendre celle qui occupait sans cesse leurs pensées… Zenon se demandait s’il retrouverait Magdalena telle qu’elle les avait quittés ; c’est-à-dire heureuse… Ah ! Comme il l’espérait !

La première impression est généralement la plus juste et il leur tardait à ces trois nobles cœurs de lire le visage de la jeune mariée… Qu’exprimerait-il ?… Le bonheur parfait, ou bien le désenchantement ?… Ils le savaient, le plus léger nuage sur le front de leur chérie les rendraient infiniment malheureux…

Mais, le yacht approchait, il approchait vite… puis il accosta… Claude de L’Aigle en descendit et il tendit la main à une radieuse jeune femme, vêtue d’un élégant costume parisien : c’était Magdalena ! Ses yeux brillants comme des étoiles, son sourire charmant et ému disaient clairement combien elle était heureuse.

III

L’ANNIVERSAIRE

Celui qui a dit : « Le bonheur n’a pas d’histoire », a émis une vérité vraie, et c’est pourquoi, lorsque nous retrouvons tous nos amis, à L’Aire pour célébrer l’anniversaire du mariage de Claude et de Magdalena, nous sommes quelque peu embarrassés pour raconter les événements, voire même les incidents de l’année qui venait de s’écouler.

Non, le bonheur n’a pas d’histoire : l’horizon des jeunes mariés avait été sans le moindre nuage ; ils s’adoraient tous deux et ne vivaient que pour le bonheur l’un de l’autre. Que dire de plus ?

Sans doute, la vie était assez monotone, sur la Pointe Saint-André. Ceux qui habitaient là, soit à L’Aire, soit à La Hutte, étaient bien isolés et les distractions étaient rares. Cependant, cette monotonie n’était pas sans charme. Tout d’abord, les mariés, occupés l’un de l’autre, ignoraient jusqu’à l’ombre de l’ennui. Mme d’Artois, à peine accoutumée au confort et au luxe qui l’entourait, en était encore à se demander parfois si elle ne rêvait pas et si elle n’allait pas s’éveiller, un de ces matins, dans son triste alcôve de jadis. D’ailleurs, la surveillante et compagne était toujours fort occupée et les occupations, on le sait, sont les meilleurs chasse-spleen qui soient. Quant aux domestiques, ils étaient habitués au genre de vie qu’on menait, à L’Aire, et ils ne s’en plaignaient pas.

Après le retour des mariés de leur voyage de noces, et durant tout le mois de septembre et d’octobre, l’automne ayant été exceptionnellement beau, Claude et Magdalena, presque toujours accompagnés de Mme d’Artois, avaient fait bien des excursions, dans L’Aiglon, soit aux Pèlerins, soit à l’île aux Lièvres, soit au Portage, ou à la Rivière-du-Loup. Puis il y avait eu les promenades en voiture ou à cheval.

Le cheval que Claude avait acheté, à Victoria, et qui ressemblait tant à Albinos, était installé dans les écuries de L’Aire, maintenant. C’était une superbe bête, qu’on pouvait confondre facilement avec Albinos.

— Mais je préfère Albinos, tout de même, avait dit Magdalena à son mari un jour, quoique la différence entr’eux soit presque nulle… La nouvelle bête est vraiment le spectre d’Albinos, ne trouves-tu pas, Claude ? avait-elle ajouté en riant.

— Tiens ! s’était écrié Claude. Tu viens de me suggérer un nom pour notre nouvelle acquisition : nous la nommerons Spectre… Spectre, tu sais… le Spectre d’Albinos, tu comprends.

Lorsqu’ils sortaient à cheval tous deux, montés sur Albinos et Spectre, ces splendides bêtes, blanches comme de l’albâtre, produisaient une certaine sensation dans le village de Saint-André et même au Portage.

— Quels chevaux superbes, hein ! disait-on.

— Quels sont ces gens ? demandait parfois un étranger.

— Ce sont les gens de L’Aire, un splendide domaine, sur la Pointe Saint-André… Ce monsieur, c’est M. de L’Aigle ; on dit qu’il adore sa jeune femme, qui le lui rend bien d’ailleurs.

— Il peut bien l’aimer ! s’exclamait-on. Elle est bien belle !

— Elle est charmante et douce aussi Mme de L’Aigle !

Lorsqu’arriva l’automne, que L’Aiglon eut été emballé et que le chemin carrossable n’existait plus, Claude et sa femme durent se contenter de ne plus sortir qu’à cheval, ou bien, ils faisaient de longues marches sur la Pointe, accompagnés du fidèle Froufrou.

Les veillées se passaient toujours agréablement, à L’Aire ; même, on les trouvait généralement trop courtes. Soit qu’on fit la lecture à haute voix dans la bibliothèque ou dans le corridor d’entrée, soit qu’on fit de la musique, dans le salon. Ordinairement, Mme d’Artois se mettait au piano et accompagnait Claude et Magdalena, qui jouaient, eux, soit la harpe, soit la mandoline, soit la guitare, soit le violon, ou le violoncelle. Cela formait un harmonieux trio, et même, les domestiques laissaient entr’ouvertes leurs portes de chambre, afin de pouvoir jouir de ces concerts. Les mariés avaient apporté une grande quantité