Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/112

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durant les premiers jours de leur jeunesse à eux deux. D’autre part, la liaison, pour lui certaine, de ce charmant Hubert et de Thérèse l’irritait, sans qu’il comprît bien pourquoi, d’une colère nerveuse. Il éprouvait à l’égard de son cousin l’invincible malveillance que les hommes de plus de quarante ans et de moins de cinquante professent pour les très jeunes gens qu’ils voient se pousser dans le monde et, en définitive, prendre leur place. Et puis, il était de ces viveurs finissants qui haïssent l’amour, soit qu’ils en aient trop souffert, soit qu’ils le regrettent trop. Cette haine de l’amour se compliquait d’un entier mépris pour les femmes qui commettent des fautes, et il soupçonnait Thérèse d’avoir eu déjà deux intrigues : l’une, très courte, avec un célèbre député de la droite, le baron Frédéric Desforges ; l’autre, plus longue, avec un écrivain presque illustre, Jacques Molan. Il était de ceux qui jugent d’une femme par ses amants, — ce en quoi il avait tort, car les raisons pour lesquelles une pauvre créature se donne sont le plus souvent personnelles, étrangères à la nature et au caractère de celui qui fait l’occasion de cet abandon. Or, le baron Dcsforges cachait sous sa grande franchise de manières un cynisme terrible, et Jacques Molan était un assez joli garçon aux manières