Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/202

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une morte, en effet ; mais qui ne sait que ce sont là les plus indestructibles, les plus frénétiques tendresses ? Quand l’irrévocable séparation n’a pas pour premier résultat de tuer l’amour, elle l’exalte, au contraire, d’une façon étrange. Impossible à étreindre, si présente et si lointaine, la vague forme du fantôme désiré flotte devant notre regard, avec sa beauté que la vie ne détruira plus, et notre âme s’en va vers lui, tristement, passionnément. La durée des jours s’abolit. La douceur du passé reflue tout entière en nous. Et alors commence un enchantement rétrospectif et singulier, qui est comme l’hallucination du cœur. Thérèse de Sauve eût été une femme ensevelie, cousue dans le linceul, couchée dans la froideur du caveau funèbre et pour toujours, qu’Hubert ne se serait pas abandonné davantage aux dangereux endolorissements de sa mémoire, à la folle ardeur de l’amour sans espérance, sans désir, tout fait de l’extase de ce qui fut une fois, — de ce qui ne saurait plus être jamais. Heure par heure, au moyen des billets qu’il avait gardés d’elle et qu’il relisait jusqu’à en savoir par cœur chaque mot, il reconstituait les délicieux mois de son ivresse finie. Thérèse avait l’habitude de ne jamais dater ses lettres et d’écrire simplement en tête le nom du jour : « ce jeudi… ce vendredi…