Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/203

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ce samedi… » Hubert retrouvait le quantième du mois au timbre de la poste, grâce au soin pieux qu’il avait eu de conserver toutes les enveloppes, pour l’enfantine raison qu’il n’aurait pas détruit, sans douleur, une ligne de cette écriture. Il n’avait pu, après tant et tant de semaines, se blaser sur l’émotion que lui procurait la vue des lettres de son nom tracées de la main de Thérèse. — Oui, heure par heure, il revivait sa vie vécue déjà. Le charme des minutes écoulées se représentait, si complet, si ravissant, si navrant ! Cela s’en était allé comme tout s’en va, et le jeune homme en arrivait à ne plus se révolter contre l’énigme dont il était victime. À la notion chrétienne de responsabilité succédait en lui un obscur fatalisme. La fin de son bonheur s’expliquait maintenant à ses yeux par l’inévitable misère humaine. Il absolvait presque son fantôme d’une faute qui lui semblait tenir à des fatalités naturelles ; puis il se prenait à songer que ce fantôme était non pas celui d’une femme morte, aux yeux clos, à la poitrine immobile, à la bouche fermée, mais une créature vivante, de qui les paupières battaient, de qui le cœur palpitait, de qui la bouche s’ouvrait, fraîche et tiède ; et, malgré lui, tourmenté par il ne savait quel obscur désir, il se surprenait à murmurer : « Que fait-elle ? »