Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/49

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au quai d’Orléans, que la veillée se prolongeait à l’hôtel de la rue Vaneau et que deux êtres profondément aimés y commentaient son absence. Comme si un fil mystérieux l’eût uni à ces deux femmes assises au coin de leur feu solitaire, il souffrait des douleurs qu’il causait… En effet, dans le petit salon paisible, une fois le général parti, les « deux Saintes » étaient demeurées longtemps silencieuses. Du fracas de la vie parisienne, il n’arrivait à elles qu’un vaste et confus bourdonnement, analogue à celui d’une mer entendu de très loin. C’était le symbole de ce qu’avait été si longtemps la destinée de Mme Castel et de sa fille, que l’intimité de cette pièce close, avec cette rumeur de la vie au dehors. Marie-Alice Liauran, couchée sur sa chaise longue, si mince dans ses vêtements noirs, semblait écouter cette rumeur, — ou ses pensées, — car elle avait abandonné l’ouvrage auquel elle travaillait, tandis que sa mère continuait de manier le crochet d’écaillé de son tricot, assise dans sa bergère, toute en noir aussi ; et, quelquefois, elle levait les yeux, avec un regard où se lisait une double inquiétude. Les sensations que sa fille ressentait, elle les éprouvait, elle, et pour Hubert, et pour cette fille dont elle connaissait la délicatesse presque morbide. Ce ne fut pas elle, cependant, qui rompit la première le silence.