Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/101

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mauvais ton, sinon coquette jusqu’à la galanterie. Vous croirez tout d’eux, excepté que le bohémianisme brillant d’un pareil couple puisse légitimement s’associer à l’idée d’un foyer et d’une famille. Pensant de la sorte, vous avez — c’est le lot de presque tous les jugements qui procèdent par vastes classes — raison et tort à la fois. Vous vous méprenez sur les personnes, car Hector Le Prieux, tout journaliste qu’il soit, représente bien le meilleur des maris que jamais bourgeois inquiets aient souhaité pour leur « demoiselle », et Mme Le Prieux est, au point de vue de l’honneur, la plus irréprochable des femmes. Vous êtes dans le vrai sur le principe, sur le peu de chances de bonheur sérieux et solide qu’offre la vie conjugale, pratiquée dans de telles conditions et dans un tel milieu. Le ménage des Le Prieux repose, en effet, sur une anomalie qu’il faut expliquer pour rendre intelligible le petit drame sentimental dont ces premières réflexions, et celles qui vont suivre, forment le long, mais nécessaire préambule. D’ailleurs, raconter l’histoire de ce couple, c’est donner, à ce récit d’une simple anecdote, sa pleine valeur d’enseignement social. La situation réciproque de Mme Le Prieux et de son mari ne tient pas à la profession un peu excentrique de ce dernier. Supposez-le gagnant à la Bourse, dans le commerce ou dans l’industrie, les soixante ou soixante-dix mille francs par an, que lui procurent ses accablantes besognes de journaliste arrivé, la singularité de ses rapports avec sa femme serait exactement la même. Cet étrange ménage,