Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

littéraires le conduisirent naturellement, le provincial avait aussitôt connu les nombreuses variétés de systématique exploitation, que l’argot des brasseries déguise du nom goguenard et familier de tape. Il avait été le camarade complaisant qui ne peut pas entrer dans un café sans que cinq ou six des assistants se mettent à sa table, pour se lever après de longs propos de haute esthétique en lui laissant à régler d’innombrables consommations dont les soucoupes s’empilent en monumentales colonnes ; — puis quand l’amphitryon de la veille ouvre, le lendemain, la porte du café, il entend les délicats esthètes exécuter son œuvre et sa personne d’un « ça n’existe pas », qui s’enfonce comme une lame froide au plus saignant de son amour-propre. Le Prieux avait encore été le « gogo » qui prend pour vingt-cinq louis d’actions d’une Revue destinée à « défendre les Jeunes » ; — puis il y rencontre quelque article, à cruelle allusion, où il se reconnaît, avec la rancœur d’avoir payé son propre éreintement, comme d’autres paient leur propre éloge. Il avait été aussi, non pas une fois, mais vingt, mais cinquante, le Mécène d’abord ému, ensuite intimidé, qui commence par ouvrir sa bourse aux mendiants de lettres professionnels ; puis il subit, au premier refus, les outrages des drôles dont il ne veut plus nourrir la superbe et impuissante fainéantise… Mais à quoi bon énumérer des misères si communes qu’elles en sont banales ? Ce qui l’est moins, c’est que le jeune homme qui les traverse n’y pervertisse pas la justesse de son sens social.