Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/182

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pour aider sa mère à recevoir les comparses de cette comédie mondaine, où elle allait jouer, elle, un rôle de larmes et de sang ! Cette petite chambre, la jeune fille s’y assit, après en avoir fermé la porte à double tour, et elle commença, en effet, de pleurer, en la regardant, de lourdes, de longues larmes qui lui coulaient sur les joues, sans une parole, sans une plainte. Elle disait adieu ainsi à la Reine, peu heureuse, mais encore soutenue par l’espérance, qui, depuis des années, vivait ses meilleures heures, celles qu’elle pouvait conquérir sur le monde, entre les quatre murs de cette étroite cellule, où elle retrouvait le symbole de la contradiction sur laquelle posait toute sa vie. C’était une chambre décorée par une personne et habitée par une autre. Mme Le Prieux, dès la première enfance de sa fille, avait voulu la dresser au luxe comme d’autres mères dressent la leur à l’économie. Cette apparente aberration avait une logique : bien résolue, dès lors, à se choisir un gendre riche, elle avait comme préparé Reine aux cent mille francs de rente qu’elle lui voyait par avance, et cette chambre à coucher de jeune fille racontait cet étrange roman maternel, par les tentures de ses murs en mousseline rose, plissées sur un fond de soie pâle à raies bleues, par ses rideaux d’une petite soie pareille, par ses meubles laqués de blanc et habillés de la même soie, par les colifichets d’argent ciselé qui miroitaient sur la table de toilette. Mais ce n’était pas la mère, c’était Reine qui avait choisi les photographies partout éparses et qui